Les arbres coupés
Chacun de nos soldats eut son cri de souffrance
Devant ces arbres morts qui jonchaient les terrains;
"Oh! les pêchers!" criaient ceux de l'Ile de France,
"Et les mirabelliers!" crièrent les lorrains.
Soldats bleus demeurés paysans sous vos casques,
Quels poings noueux et noirs vers le nord vous tendiez!
"Les cerisiers!" criaient avec fureur les Basques.
Et ceux du Roussillon criaient: "Les amandiers!".
Devant les arbres morts de l'Aisne et de la Somme,
Chacun se retrouva Breton ou Limousin.
"Les pommiers!" criaient ceux du pays de la pomme;
"Les vignes!" criaient ceux du pays du raisin.
Ainsi vous disiez tous le climat dont vous êtes,
Devant ces arbres morts que vous considériez.
- Et moi, voyant tomber tant de jeunes poètes,
Hélas! combien de fois j'ai crié: "Les lauriers!".
Edmond ROSTAND