Carnet de guerre
NOTA : CHIFFRES ENTRE PARENTHESES, SE REPORTER A : « PRECISIONS DIVERS »
(**) Régiment d’Artillerie de la 4ème division d’infanterie Nord Africaine appartenant à l’armée du général Corap (3)
Ces cantonnements sont les suivants :
-Etat Major et Colonne de Ravitaillement à Chaumousey
-1er batterie à Girancourt
-2ème batterie à Girancourt
-3ème batterie à Void de Girancourt
Répartition des officiers :
-Etat Major :
Cdt Aulanier , adjoint Cpt Devich
Orienteur Lt Saint Martin
Observateur Lt Bourdieu
Officier de liaison Lt Ringale
Officiers de transmissions Lt Hubert et Lt Dureigne
-1er batterie Cpt Noé, s/Lt Capus, s/Lt Schweitzer
-2ème batterie Lt Deshons, Lt Deshaie, Lt Zac
-3ème batterie Cpt Feltz, s/Lt Celier, S/Lt Princé(*)
-Colonne de Ravitaillement (CR) Lt Lefèvre, Lt Lemoine, s/Lt Etcheberry
(*) officier de réserve, cavalier, artilleur, Croix de Guerre 14/18.
Notes de Philippe Princé:
-Aulanier, officier de réserve commandant de batterie en 14/18
-Devich , vétéran de la dernière guerre, officier de réserve
-Saint Martin, officier d’active, turbulent, moqueur, plein d’entrain, excellent camarade
-Bourdieu, 2ème vicaire à saint Jean Batiste de la Salle à Paris, beaucoup d’entrain et d’abnégation
-Ringal, entrepreneur de béton armé, qui devait plus tard nous apprendre à construire des abris.Excellent garçon, peu pratique, calculant toujours la charge de rupture des rondins au lieu de s’en reporter à l’empirisme qui avait pourtant fait ses preuves
-Hubert, charmant garçon ayant l’âme d’un officier de transmission
-Noé, vieux blédard ayant commandé pendant de nombreuses années un Goum de méharistes dans le sud algérien
- Deshons, officier d’active, plein d’entrain et brillant artilleur et cavalier. Il avait avec lui comme cheval de guerre son fidèle Capitoul, vieux champion de concours hippique
-Feltz, officier de réserve, extrêmement jeune d’allure et plein d’entrain. Vieux baroudeur de la grande guerre et ancien aviateur de la même époque. Il quittait son industrie d’Epinal et sa famille nombreuse pour partir avec une division d’active
-Lefévre, officier de réserve et vétéran de la grande guerre
La formation de la batterie, tout le monde étant plein de bonne volonté, s’est faite sans aucune difficulté, le personnel d’active connaissant bien son affaire, l’Adjudant Chef Lereau, en particulier ainsi que les Maréchaux des Logis Guyonnaux, sous chef mécanicien, et Labouète, ancien marocain. Seule l’instruction de certains s/officiers de réserve semblait laisser à désirer. Laurin qui vient du 75 porté n’a jamais vu un cheval de sa vie et Grandemange qui connaît très peu le 75(4). Tous sont toutefois plein de bonnes volontés ce qui permet grandement de compenser rapidement ces lacunes dues au service militaire d’un an.
Le 9 septembre à 4 heure de l’après midi nous embarquons à Epinal avec la 3ème batterie et une partie de la colonne de ravitaillement et son commandant le Lt Lemoine.
Le 10 vers 0 heure nous débarquons à Lening. Le Cdt Glanier nous attend sur le quai de débarquement et nous dépeint le secteur comme très calme.
Le débarquement terminé, sans accident malgré une nuit très noire, nous partons pour Elleviler où nous devons cantonner jusqu’au lendemain. Toute la région ayant été totalement évacuée, nous ne rencontrons aucun civil, la seule présence humaine est assurée par quelques postes de gardes mobiles que nous découvrons au fur et à mesure que le jour se lève. Nous cantonnons à Elleviler, un gros bourg vide de ses habitants mais encore rempli de ses chiens qu’il nous faut abattre, dans des maisons abandonnées et nous devons vivre sur le pays. Le bétail est abondant, les poulaillers et clapiers pleins, le train régimentaire fait le nécessaire.
Notre cuisinier Binder nous prépare un excellent déjeuner et le soir tout le monde dort dans les maisons. Avec Célier, nous nous partageons, une chambre très coquette, en pensant aux malheureux propriétaires forcés de quitter le logis et peut-être ainsi tout le labeur d’une existence pour aller se réfugier dans une province du centre. Que ces pauvres populations des régions frontalières sont à plaindre.
Le 10 septembre de nuit nous quittons Elleviler .Un accident a lieu à la sortie du village où un conducteur s’est fait une légère fracture s’étant pris le pied sous une roue.
Nous marchons toute la nuit. Il fait très noir et nous ne sommes pas encore habitués à circuler ainsi. Certains s/officiers notamment l’Adj.Dambrine ne cessent de s’éclairer avec leurs lampes électriques malgré les ordres. Il faut réagir énergiquement…Il pleut…Nous nous trompons de route…Enfin vers 2 heures du matin nous arrivons sur notre position (nord-est de Kerbach- nord de Lixing).
Dans la journée les trois commandants de batterie avaient fait leur reconnaissance, l’officier orienteur avait organisé topographiquement le terrain.
La mise en batterie malgré un terrain difficile et glissant s’est effectué normalement et dans un délai minimum, bien qu’il est été nécessaire de faire franchir au matériel de la 2ème section un fossé dont les bords à pic avaient 1m50. Au jour nous étions prêts à tirer.
Nous restons jusqu’au 8 octobre sur cette position sans incident pour la 3ème batterie. Seul quelques tirs de réglage dans la région de la gendarmerie de Sarrebruck, sur Neu Fuchingen, puis pour mon compte un tir à vue sur une locomotive dans Neu Fuchingen qui fit exploser un dépôt de grenades. Enfin tous les 6 jours nous effectuions un jour de garde à l’observatoire en bordure du bois situé au nord de Lixing d’où nous dominions la vallée de la Sare depuis Kleinblittteradorf jusqu’à Neu-Fuchingen . Sarrebruck étant caché par le massif de Saint Arnual.
Il n’en fût pas de même pour toutes les batteries du groupe de la 2ème batterie qui supporta le 13 septembre un tir de 105 qui lui causa 5 morts, 15 blessés et tua 34 chevaux.
Le 8 octobre lorsque nous quittons ces positions nous sommes croit-on à la veille d’une attaque allemande et le commandement replie une partie des troupes qui sont en avant des lignes fortifiées. Pourtant notre séjour en secteur a été relativement calme, l’ennemi peu actif et bien des fois avec le Lt. Celier nous avons rendu visite aux commandants de bataillon et de compagnie qui étaient en ligne .Ainsi nous avons pu aller, à St Arnual et au sanatorium de Sarrebruck qui venait d’être pris par le 23ème R.T.A., sans aucun incident. Des observatoires on pouvait voir les travailleurs allemands terminer la ligne Sigfrid, s’affairer autour des bétonnières, rentrer les récoltes.
Seul sur l’autre rive de la Sarre, le Bois du Hasbouch et les Carrières (région de Bubingen)les tirs des 155 français avait été assez denses. Les mines allemandes, d’un mécanisme très ingénieux avaient fait beaucoup de victimes et nécessité une grande prudence. Mais pour nous avec nos idées de la guerre 1914/1918, nous n’avions jamais l’impression d’une lutte très âpre.
Pour notre troisième batterie, nous avions porté tous nos efforts à apprendre, suivant les vieux principes à notre personnel, à organiser le terrain et à l’utiliser. Ainsi, au bout de peu de jours, la position avait pris bon aspect avec ses abris de tir, ses abris à personnel et ses soutes à munitions.
Puis un beau soir, nous voyons monter le groupe de reconnaissance divisionnaire qui s’organise dans le bois devant nous et le matin nous voyons les tirailleurs descendent. A 17 heures nous recevons l’ordre de partir nous aussi. Le commandant prévoyant une attaque allemande replie ses troupes sur les points d’appuis de la ligne fortifiée.
Il fait très mauvais temps, il pleut. Nous partons en direction de Gros Tenquin. Depuis notre arrivée nos vêtements n’ont guère pu sécher.
Au jour nous nous arrêtons dans un bois. Tout le régiment se trouve réuni. C’est la première fois depuis la mobilisation. Nous en profitons pour faire connaissance avec les camarades des autres groupes. Puis après quelques heures de repos, nous repartons à la nuit vers Moranges.
Il est décidé que vers 1 heure du matin nous donnerons la soupe pour réchauffer les hommes. Mais la cuisine roulante est vide, il faut de l’eau. En passant dans un village nous voyons un puits, étant en arrière en serre-file, je fais arrêter la roulante et dis au chef de la faire remplir. Le puits est très profond, la colonne poursuit sa route, la nuit est très noire, je sens la batterie qui nous suit, la 2ème qui se rapproche, le sceau descend et remonte de plus en plus vite. L’opération est enfin terminée, nous repartons, les cuisiniers allument le feu et pendant plusieurs heures notre brave roulante fait des étincelles de tous les côtés…la soupe mijote.
Nous arrivons enfin à Morange. Il fait froid. Tous les hommes sont mouillés. On arrête la colonne à l’abri du vent et la distribution de la soupe à lieu. Le cuisinier prend sa louche, brasse et brandit le sceau qui avait été dans la bousculade laissé dans la marmite…rire général ! La soupe avait tout de même bon goût et plusieurs jours après tout le monde en riait encore.
Nous nous remettons en route et au jour nous arrivons à Sottseling, village de Lorraine, où tout au plus on pouvait loger une ou deux batteries. Il faut y faire tenir tout un groupe. Le campement a eu un mal fou à caser tout le monde. Pour la batterie il nous est affecté une seul maison, une masure à moiti é en ruine. Les hommes risquent de passer à travers les planches. Les sous-officiers sont avec les hommes et nous trois, Feltz, Célier et moi n’avons qu’une chambre noire et sale à deux lits. On fait un lit parterre et avec Célier nous le tirons au sort.
Les pauvres chevaux sont eux aussi mal logés, ils sont dehors à la corde, ils commencent à souffrir car également le ravitaillement est insuffisant surtout pour des bêtes qui un mois auparavant étaient à la culture avec des rations plantureuses.
Quelques jours plus tard on nous affecte un nouveau cantonnement « RICHE », gros village lorrain où il est possible de se loger. Quelques chevaux peuvent être mis à l’abri. Les hommes sont dans des granges. Presque toute la batterie est dans la même ferme. Je couche dans une pièce qui sert également de popote.
Le Commandant Aulanier passe une revue de cantonnement et en visitant le logement des téléphonistes, il avise le mousqueton de Dufour dont la culasse est soigneusement enveloppée dans un chiffon protecteur. Il le fait défaire et passe une revue d’armes. Heureusement pour tout le monde, j’avais le matin même effectué une visite sommaire. Tout était en ordre et là, comme de tout, nous nous en tirons honorablement.
Un beau jour, je déjeunais chez le Commandant et en plein repas, nous sommes prévenus que nous partions à 3 heures. Il pleut, je pars au cantonnement avec le Lt. Deshaie. Nous devons passer par Morange et aller à Racrange.
Avant de partir, je liquide les comptes de popote
Et achète des provisions dont un poulet.
Nous arrivons à Racrange qui est en partie occupé par l’Etat Major du régiment, des tirailleurs et des hommes du génie.
Il est très difficile de faire le campement. Le capitaine Bergevin, officier de transmission du régiment, oppose la force d’inertie. Il ne veut pas faire déplacer des camions pour que nous logions du monde…Enfin après bien des tours, les hommes sont logés, les chevaux mis à la corde.
Pour tous ces arrangements, le Lt. de Vérac de l’Etat-Major du régiment avait été très complaisant. Je ne le connaissais pas encore. Je frappe à sa porte et j’entre. Il était entrain de changer de chemise…c’est ainsi que nous avons fait connaissance.
Le lendemain toute notre installation commençait à se tasser. Nous nous mettons à table à midi et nous nous apprêtions, après toutes ces émotions, à savourer le fameux poulet. Arrive le Lt. Saint Martin, très gai et moqueur qui imitant le bruit de la mitrailleuse en nous fixant du doigt…fait Pan…Pan…Pan .Suivit d’un : on part immédiatement ! Puis, se ravisant, en voyant le poulet nous dit « On déjeune ! » et s’assoit. De fait nous ne devions repartir qu’à 2 heures.
A nouveau nous traversons Morange puis nous cantonnons à Gerbécourt.
Là nous sommes bien installés, les chevaux sont à l’abri et les hommes peuvent se reposer.
Nous les laissons en paix, ils aident à faire les vendanges.
Nous avons pour voisin la 2ème batterie avec qui nous faisons popote et un détachement d’aérostiers dont le commandant, fort sympathique, vient plusieurs fois déjeuner avec nous.
Quelques courses à Château-Salin et le temps passe.
De nouveau, le groupe doit remonter en ligne. Nous partons le soir pour Brulange, il fait un temps affreux, heureusement notre étape s’est faite de jour. Une partie des chevaux reste dehors, le reste est à l’abri pour une nuit et cela n’a pas grande importance.
Tout se passe pour nous sans incident. Nous sommes invités à dîner à la popote de l’intendant de la division que nous venons appuyer. Popote très sympathique, nous devions encore y déjeuner le lendemain, la conversation s’engage, tout d’un coup Feltz se met à parler d’Epinal avec le payeur, puis la conversation change…Le payeur était percepteur à Epinal, très gênant pour un industriel.
La 2ème batterie avait encore cette nuit eu la guigne. Déjà éprouvée fortement à Sarrebruck, cette nuit 20 chevaux d’une pièce se sont jettes à l’eau. Par chance il a été possible de les sortir sans accident mais toutefois bien fatigués. Jamais cette pauvre batterie ne se relèvera complètement.
Nous repartons à la nuit, traversons Longeville-lés-Saint Avold pour aller mettre en batterie prés du moulin d’Amback.
Pour nous, 3ème batterie, le trajet se fait par beau temps et sur bonne route. Le capitaine Felz avait pu faire en auto sa reconnaissance de sorte qu’à l’arrivée de la batterie, tout était prêt, les emplacements des pièces jalonnées, les itinéraires marqués.
Quelques heures avant l’arrivée j’avais, avec les deux chefs de section, devancé la colonne pour aider le capitaine à l’arrivée du matériel.
La mise en batterie par un beau clair de lune se fit sans difficulté. Nous étions prêts à tirer, mais il restait la position à organiser.
A quelques centaines de mètres de nous était le moulin d’Amback, ancien moulin transformé en auberge avec piscine, cabines de bains et garages en planches. Il nous fallait des matériaux …
Aussi, aussitôt le matériel en place, le sergent chef Guyonneau reçoit des instructions très précises. Au petit jour, aidé de quelques servants débrouillards, il démonte cabines de bains et garages pour récupérer les planches.
Alertée par le bruit la 2ème batterie arrive à son tour et emporte aussi quelques planches.
Quant la 1er batterie arrive il ne reste malheureusement plus rien…
La position était à organiser. Heureusement, nous étions dans un bois de sapin et les rondins ne manquaient pas. Nous étions toutefois dans un terrain sablonneux et presque au niveau de l’eau, sauf pour la 2ème section qui avait le bonheur d’avoir un talus. Tout dût être construit en superstructure.
Les pièces s’enfoncent dans leur alvéole, les soutes se boisent, les abris se construisent. Quelques corvées, dans les villages abandonnés de Porcelette et Carling, permettent de ramener des tôles, des linoléums permettant de faire des toits étanches bien nécessaires pour nous protéger de la pluie qui tombait.
Une fois les abris à personnel amorcés, nous construisons pour le P.C. un chalet à demi enterré,, recouvert de linoléum et de fougères, avec porte et fenêtres vitrées. Dans ce monument nous installons trois couchettes de bateau, un poêle, c’est le comble du confort !
Les observatoires étaient à Carling dans la mine et dans les environs. A notre arrivée la mine était en cours d’évacuation. Tout ce qui était transportable était enlevé. Pour nous ce fut une mine de matériaux faciles à exploiter. Nous nous sommes approvisionné en cordes pour les chevaux, en lampes et en cartons bitumés.
Là aussi, il fut nécessaire d’organiser les observatoires. J’en construisis un au crassier. Une baraque en bois en contre bas, recouverte de tôles, devint dès le premier jour habitable.
Nous commencions, en plus de la pluie, à avoir de la neige. Je me souviens qu’une certaine nuit, où sur notre gauche dans le Ward cela avait l’air de barouder, avoir passé toute une nuit de garde à geler sous la neige, en haut d’un élévateur à crasse.
L’autre poste de garde était dans le bois à gauche de la route dans un lieu très humide (ouest de Carling).
Pendant ces jours de garde à l’observatoire, nous étions pris en pension par le commandant Charlot du 25 R.T.A., vieux baroudeur de la Grande Guerre et ancien marocain, superbe soldat. Il avait les yeux tellement divergents que l’on racontait : « Quant le commandant Charlot passe sur le front de son bataillon, le 1er tirailleur rectifie la position et aussi le dernier, chacun pensant que le commandant le regarde »
Il avait pour adjoint le capitaine Bélair, lui aussi vieux militaire avec qui j’ai fait bien des rondes la nuit aux postes de guet.
Le secteur était on ne peut plus calme, mais la division que nous remplacions, une division de formation, avait donné quelques déboires. Il avait été jugé prudent de la remplacer par la 4ème D.I.N.A.pour organiser le secteur et éviter que quelques groupes francs allemands ne fassent trop de prisonniers.
Le départ de cette troupe nous a bien amusé, particulièrement le spectacle de voir embarquer une vache dans un camion par des gens n’ayant certainement jamais touché ce genre de ruminant. La pauvre bête une fois montée sautait de l’autre côté, ce qui amusait beaucoup les tirailleurs.
Nous avions organisé notre popote dans l’ancienne auberge du moulin.
Nous avions avec nous un officier du 25ème R.T.A., le Lt Dumesnil que j’avais connu aux manœuvres des Vosges. Un peu vantard, nous lui avons joué quelques tours. Lors d’une reconnaissance de ligne téléphonique faite avec Célier, il l’avait supplié de faire cette tournée à cheval, prétendant savoir monter…Le retour, les jambes en cerceau et au pas, fût piteux.
Pendant que nous mettions tout en état nous sommes, un jour, avisés que le commandant Oulanier nous quittait. Il était remplacé par le commandant Germe, qui commandait le régiment provisoirement en lieu et place du colonel Bourget qui avait été appelé à l’état major du Levant près du général Weygand (qui remplacera le général Gamelin le 19 mai après sa stratégie hasardeuse de Dyle-Breda- voir(3))
Puis arrive le remplacent du colonel Bourget, le Lt.Colonel Siviende qui venait d’un régiment de Morhanges. Pendant la dernière guerre il mentionnait avoir commandé la 3ème batterie du 1/33.
De nouveau, un beau soir, nous sommes relevés et je suis désigné pour faire le campement.
Quelques jours avant, la première batterie avait reçu en renfort le Lt. Signoret qui arrivait de l’artillerie de forteresse avec son chien. Ce qui lui attire la réflexion suivante de son commandant de batterie, le capitaine Noé « le chien fait-il parti du paquetage de campagne des officiers ? ».
L’état major était à Longeville, mais presque tous les jours, Bourdieu, Saint Martin ou Hubert venaient aux positions ou à l’observatoire.
Le dimanche, Bourdieu aidait du petit Nicolas disait une messe de campagne sous une énorme tente appelée Notre-Dame des Bois.
Notre travail d’artilleur était assez simple car on ne tirât pas, mais il fallait être prêt. Aussi avec Célier construisions-nous tous les jours avec beaucoup de conscience les courbes de corrections aérologiques, ce qui invariablement amenait à discussion.
Célier avait adapté un papier millimétré sur un carton et avec trois bruns de laine de différentes couleurs il représentait les trois courbes. Pour moi, j’aimais mieux des traits sur un papier millimétré. Les résultats aux distances usuelles étaient sensiblement identiques. Mais que de discutions, qui je dois l’avouer, je recherchais. Cela me permettait de compléter mon instruction sur les dernières méthodes de Fontainebleau.
Aussi les concentrations Condé, le barrage anti-aérien, le tir sur points sensibles devinrent pour moi on ne peut plus familier.
Nous recevons l’avis que nous allions être remplacés par une batterie auto. Nous recevons nos successeurs à déjeuner. Ils visitent nos positions et prévoient leur installation. Nous sommes très étonnés de la lenteur des mouvements d’une batterie auto en terrain difficile.
De nouveau, un beau soir, nous démarrons vers deux heures du matin. Je fais campement à Morange au Sud de la route de Fouligny. Là commencent les difficultés. Le pays est occupé par le génie. Il y a un major de cantonnement, personnage important, qui condescend à donner des greniers pour les hommes et une pièce pour les officiers alors que la plupart des sous officiers du génie ont des chambres…dispute ! Comme j’ai la tête dure, je m’accroche et finis par trouver le major de cantonnement au milieu de tous les officiers du génie fort occupé à fêter des Croix de Guerre.
Ayant dû boire une coupe de champagne avec eux, puis déclaré que la Croix de Guerre était une fort belle chose, j’indiquais que cela ne m’empêcherait pas de trouver de à loger convenablement au moins les deux capitaines. Puis à force de les entendre, je finis par déclarer, qu’étant moi-même titulaire de la Croix de Guerre 14/18, que cela ne m’avait jamais empêché de faire passer le service avant les arrosages et que je voulais, tout de suite, au moins deux chambres.
Les batteries arrivent. Noé avec la 1ère , Célier avec la 3ème , Feltz ne devant arriver qu’après avoir vu le colonel Cogneret, commandant l’artillerie divisionnaire.
Je reçois enfin les deux billets de logement. Une chambre à la cure, une autre dans une maison particulière. Le soir Noé demande sa chambre, Feltz n’est pas encore arrivé. On tire au sort !
Noé est à la cure, mais quand Feltz arrive et voit sa chambre, il s’aperçoit qu’il lui faut la partager avec un enfant. Résultat, il vient coucher dans la paille avec nous.
Nous restons 24 heures à Morange, faisons une autre étape de jour et cantonnons à Bacourt.
Enfin nous nous installons à Armaucourt où est le groupe de la 1er artillerie et la C.R. (colonne de ravitaillement). Nous, 2ème batterie nous sommes à Araye et Hans- plus spécialement à Hans-petit hameau encerclé par la Seille, ancienne frontière avant 1914. On peut encore y voir les restes des tranchées de cette guerre.
Notre vie s’organise. Nous arrangeons les cantonnements le mieux possible. La 1ère section est installée d’une façon passable, puis par la suite très bien dans une pièce parquetée et plafonnée. Le même résultat est obtenu pour la 2ème section, mais quelques conducteurs préfèrent rester seuls. Les téléphonistes et servants de la 5ème pièce s’organisent. Le reste de la 5ème pièce et de la 6ème sont dans un grand grenier assez froid.
Le 11 novembre le colonel vient nous passer en revue. Il fait mauvais aussi se fait-il présenter sous officiers et hommes dans les cantonnements.
Quelques jours après, revue des chevaux, puis viennent des ordres de la division de commencer l’instruction.
Les servants sont repris en main : « école de la pièce », « école de section », « école de batterie et surtout de tir antichars » .
Une plateforme ARBEL est installée et en faisant circuler un servant ou une voiture à quelques distances, il est aisé d’habituer les pointeurs à suivre l’objectif. En effet au coup de sifflet tout s’arrête et il est ainsi facile de voir si la pièce est en direction.
Pour nous aussi le commandant Germe commence des cours : « réglage unilatéral », « réglage percutant de précision et tir centralisé ».Quelques manœuvres sur le terrain suivent…Tout alla d’abord très bien…Puis un beau jour, les trois capitaines firent des critiques au commandant, ce qui leurs attira la riposte suivante : «… Messieurs, c’est ici comme dans la cavalerie…les trois capitaines ne s’entendent que pour attraper le chef d’escadron ».
Déjà des bruits de départ circulent, ce qui est le signe avant coureur de tout déplacement. Toute la division est passée en revue par le général Requin. Nous faisons quatre heures de route pour nous rendre sur l’emplacement de la revue par une pluie battante. Tout le monde est trempé. Malgré tout la revue est superbe.
Le général passe en voiture sur le front des troupes, c’est impeccable. Pour le G.R.D. les difficultés commencent, pour l’infanterie ça va, pour nous le terrain est mou et le matériel s’est enfoncé. Tout de même cela démarre sauf pour le 4ème caisson resté en panne avec plusieurs traits cassés. Nous passons en bataille et au trop devant le général.
Pour le 2ème et 3ème groupe, le terrain étant de plus en plus labouré, les défilés furent aussi de plus en plus laborieux.
Le retour au cantonnement par la route fut pénible et pas très beau à voir - chevaux tombés – traits et timons cassés- mais se fit sans accident grave …une véritable retraite de Russie au dire du capitaine Bergevin , officier de transmission du régiment.
Au bout de 2 jours tout le monde était sec et personne n’était malade. Toutefois la gourme (aussi appelée angine du cheval) se déclara dans la cavalerie.
Le 28 novembre nous embarquons à Moncel-sur-Seille en pleine nuit, au bout d’un quai, mais heureusement par beau temps.
Le 29 nous débarquons à Onis-Neuve-Maison et cantonnons à Bucilly (Aisne).
Nous passons quelques jours à nous installer, puis les reconnaissances commencent.
Le 10 décembre après avoir eu une alerte, le jour de la Sainte Barbe ( fête que tout artilleur doit dignement fêter), nous quittons Bucilly sur Anor (Nord).
Nous relevons une division normande et prenons ses cantonnements.
Tous les chevaux du groupe sont dans une ancienne filature, les hommes dans des cantonnements auprès des positions car, en théorie, nous sommes en position prêts à tirer.
A partir de cette époque, je quitte pratiquement la 3ème batterie car je suis chargé de construire une position avancée de 155 long 1877 prés du Pas des Bœufs.
Rien n’est commencé, les pièces et les munitions sont seulement à pied d’œuvre.
Je reçois, deux sous officiers du 233 R.A.M.A., les maréchaux des logis Martin et Philippe, deux maîtres pointeurs et un artificier du même régiment et enfin 12 pionniers du 611. Le tout étant mis en subsistance auprès d’une compagnie du 611 toute proche.
Les travaux commencent, je trace le terrain plates-formes et soutes et aussitôt je fais creuser des tranchées pour évacuer l’eau.
En même temps je demande les matériaux nécessaires, fascines (*), madriers pour les plates formes, rondins pour les abris et les soutes, planches de coffrage, sacs à terre.
(*) fagots composés de branchages dont on se sert pour combler des fossés, réparer les mauvais chemins et faire des ouvrages de défense. Sert aussi à freiner le ruissèlement.
Je ne suis jamais arrivé à avoir assez de madriers aussi, j’ai eu beaucoup de peine à faire des plates formes solides. Néanmoins, malgré de très graves difficultés dues au terrain, au manque de matériaux et au temps (gel et neige) quinze jours après, vers le 25 janvier, cette section était prête à tirer avec un personnel de fortune. A mon départ en permission, vers le 22 février, tout était organisé à la grande satisfaction du commandant et du colonel :- alvéoles, plates formes, soutes à munitions, tranchées de communication, même des abris à personnel un peu en arrière étaient creusés et j’attendais le bois pour les coffrer.
Célier, tout en trouvant cela assez mauvais me succède. Il rentre de permission !
Pendant sa permission j’avais dû cumuler ses fonctions et les miennes soit : -instruction des servants à la 3ème batterie – surveillance des écuries – travaux.
Depuis notre arrivée à Anor, l’instruction était reprise pour tout le monde. Pour nous, nous avions deux cours par semaine, une conférence, un jour d’instruction dans le cadre de la batterie et une manœuvre à l’extérieur avec tout le personnel et le matériel.
Ce genre de vie entièrement active pendant tout l’hiver a eu comme résultat de nous maintenir en pleine forme.
Egalement pendant ce temps tous les travaux topographiques er d’organisation de tir ont été effectués avec un soin minutieux. Par exemple, pour la section de 155 tous les tirs étaient préparés par rapport aux directions et aux distances topographiques. Pour les batteries il en était de même.
Le 7 février en rentrant de permission j’apprends sans surprise que je suis muté en qualité de lieutenant de tir à la 2ème batterie. Le lieutenant Deshaie étant rappelé à la poudrerie du Bouchet et le lieutenant Zac à la C.R. (colonne de ravitaillement).
Je prends immédiatement en main cette batterie et je commence l’organisation de terrain. Il faut construire une position avancée entre le cimetière et la passe d’Anor. Les travaux mal commencés sont inondés et il faut aller vite malgré que nous manquons de personnel.
Je dois en outre signaler que cette malheureuse batterie qui a eu des pertes sensibles en Lorraine ne s’en est pas encore relevée.
Nous recevons de gros renforts d’indigènes et quelques chevaux. Mais avec les pertes dues à la gourme notre effectif est tombé à moins de 90 chevaux.
Pour la position de batterie avancée, nous poussons les travaux autant que les moyens en personnel et matériel dont nous disposons le permettent.
Les plates formes se construisent, les doubles circulaires se placent, les soutes se creusent. A droite de chaque piéce un abri léger recouvert de tôles et de rondins met le personnel à l’abri des éclats. Le camouflage est fait avec soin. De ce fait cette position est souvent visitée par le commandant, le colonel et les officiers des autres groupes qui viennent voir comment le travail se poursuit.
A peine les travaux sont-il en voie d’achèvement que je reçois l’ordre de travailler à la position arrière.
Malgré tous ces travaux le programme d’instruction continuait à être appliqué dans toute sa rigueur. Nous étions donc extrêmement pris.
A cette époque le secteur Trélon, Fourmies, Anor occupé par la division présentait, malgré ses imperfections, un gros obstacle.
Toute l’artillerie divisionnaire avait ses positions prêtes à être utilisées et auraient pu en quelques heures être occupées et rendues tout à fait correctes.
L’artillerie lourde du 111 R.A.L.C. était bien moins avancée. Seules des plates formes au ras du sol avaient été établies. Pourtant ce régiment était là depuis le mois de septembre.
Un autre point faible était les transmissions. Les lignes souterraines de secteurs étaient en place, mais les centraux et boites de coupures ne fonctionnaient pas encore.
Par ailleurs de nombreux abris en béton avaient été coulés pendant la période comprise entre la mobilisation et la fin avril, mais aucun n’était encore armé. Ainsi les ouvrages commandant les fossés antichars n’avaient pas encore leur artillerie. Egalement les unités de secteur pour occuper ces ouvrages n’étaient pas encore constituées.
Pourtant nous avons pu nous rendre compte un mois et demi plus tard que les dépôts regorgeaient d’officiers, de sous-officiers et d’hommes. Pendant l’hiver on aurait dû constituer pour cette région des unités de forteresse pour occuper tous ces ouvrages, nous libérer de l’organisation et du service de l’artillerie de position et créer ainsi une organisation qui, même faible, aurait pu jouer un rôle important.
Dans la 2ème quinzaine d’avril, la section de munitions hippomobile divisionnaire a été enfin dissoute et remplacée par une section automobile. Le personnel en surnombre est versé dans les régiments. Nos effectifs sont redevenus normaux, les chevaux ont été répartis et nous avons pu de nouveau atteler notre matériel à 6 chevaux par voiture, sans pour cela être au complet.
Dans la même période les cours d’élèves officiers de Poitiers et de Fontainebleau étant terminés, nous avons reçu quelques aspirants. A la batterie, nous n’étions que deux officiers. Il nous est arrivé un beau matin l’aspirant Guy de Richemont.
Depuis quelques jours déjà nous sentions que la situation se gâtait :- ordres- circulaires- bruits de départs.
Pourtant les permissions n’étaient pas encore suspendues. Célier était parti se marier et je devais partir moi aussi en permission dès son retour.
Il y avait eu au groupe quelques transformations. Feltz démobilisé était reparti à Epinal et avait été remplacé par Bourdieu. Hubert commandait maintenant la 4ème batterie. A la colonne de ravitaillement Lefévre, muté au service du chiffre, avait d’abord eu pour successeur Lemoine puis, à la dissolution de la S.H.H. Lemoine avait été versé au groupe, comme observateur, en remplacement de Bourdieu et la C.R. avait eu pour commandant le lieutenant Larigaldie.
Capus et Schweitzer avaient eux aussi quitté la 1er batterie pour le groupe. Le premier était officier de liaison, le deuxième officier de transmission.
La répartition des officiers était la suivante :
En cas d’attaque allemande sur la Belgique, deux éventualités étaizent prévues :
10 mai
Le 10 mai à 2 heures du matin nous recevons l’alerte et aussitôt nous nous préparons au départ.
Depuis le lever du jour la région est survolée par des escadrilles allemandes, nos mitrailleuses prennent à
partie des avions au dessus de la gare d’Anor.
Nous apprenons que Fourmies a été bonbardée et qu’il y a des dégâts et des morts.
Tout le matériel est vérifié ainsi que le chargement des voitures. Cette journée est assez fiévreuse.
Le soir les chevaux sont mis à la corde dans le bois de la haie de Fourmies, les conducteurs couchent près de leur attelage. Tout est prêt pour le départ.
11 mai
Nous remettons nos dossiers en position au groupe :
Ces dossiers permettaient à une autre unité d’occuper notre secteur et de tirer en quelques heures. Ils furent remis par le groupe, suivant les ordres du secteur au 11ème régiment de travailleurs régionaux qui devait garder les positions et les munitions. En un mot assurer la garde de tout ce qui existait dans le secteur.
12 mai
Nous quittons Anor dans la nuit et nous allons camper dans un bois près du lieu dit « Le point du jour » à proximité de la frontière.
La veille, la région a été assez active. Nous avions vu
passer pas mal d’éléments motorisés et aujourd’hui il circule encore de nombreux véhicules, ambulances, camions.
Au jour, nous sommes installés, le matériel camouflé, les chevaux cachés et répartis par pièces, les hommes près du matériel.
Pour nous nous avons une ancienne écurie qui sert de bureau et de chambre de repos.
L’état major du groupe est encore plus près que nous de la frontière. Nous y allons pour avoir des renseignements. A la barrière une file d’automobiles belges attend l’ouverture pour venir en France. Il n’y a pas encore d’ordre pour les laisser passer.
Cette journée est pour nous une journée d’attente bien longue.
L’aviation allemande continue à être active. Plusieurs escadrilles circulent. L’une nous survole à plusieurs reprises.
Vers 16 heures, le campement composé du Maréchal des Logis Chef Deschasseaux et d’un cycliste pour la 2ème batterie part avec les campements des autres batteries, sous la direction du Lt. Saint Martin. Ce détachement doit préparer notre arrivée à Soulers pour le lendemain au jour.
Vers 20 heures, le groupe se met en route. Son ordre de marche est le suivant :
Notre départ est avancé, pour être sûr que la colonne arrive à Boulers avant le jour. Nous prenons la direction de Maquenoise.
Au passage de la ligne fortifiée, premier incident, un cheval de la 3ème pièce se prend un pied dans une emplanture (point de fixation) en ciment du barrage anti chars. Il faut près de ¾ d’heure pour le dégager, toute la colonne étant bloqué, la route étant trop étroite pour pouvoir doubler.
Un peu plus loin, la route grimpant sue les hauteurs qui bordent la vallée de l’Oise, c’est une côte dans les bois qu’il faut monter, par voiture, en doublant les attelages, ce qui nous retarde encore.
Nous arrivons sur une route tellement goudronnée que les chevaux manquent de pied et s’abattent. Le commandant Germe fait arrêter le groupe et reconnaît un autre itinéraire, d’autant que cette route est très embouteillée par un convoi d’artillerie motorisée.
L’Etat Major et la 1er batterie arrivent quand même à se faufiler. Nous nous prenons un chemin de terre.
13 mai (voir précision 3)
L’aviation allemande commence de nouveau à être très active et comme il fait clair, les aviateurs peuvent parfaitement voir les routes. Nous entendons les bombes tomber dans les environs.
Avant d’arriver à Forges les Boulers , nous rejoignons la grande route. Là nous nous retrouvons la 1er batterie qui se mélange un peu à nous.
Un avion jette des bombes près de la route. Le conducteur de la voiture mitrailleuse perd un peu la tête. Les attelages font demi-tour, cassent le timon et les traits, bousculent le fourgon dans le fossé et s’emballent.
Ils font un bruit fou…La route est sèche, des étincelles jaillissent…On croirait entendre une vraie charge de cavalerie. A ce moment comme je suis en queue de la colonne, je ne me rends pas tout à fait compte de ce qui se passe. Je n’ai pas vu l’accident du fourgon. A tout hasard, je sors mon révolver et je m’apprête à intervenir. A ce moment, je vois les chevaux emballés. Avec le maréchal des logis Boos, nous les arrêtons et les remettons à un conducteur.
Avant d’arriver à Boulers, , le capitaine Deshons envoie le sous chef Laboue, le mitrailleur Alphansi et deux conducteur réparer cette voiture et la ramener.
Nous arrivons à Boulers, nos cantonnements sont prêts, mais le jour se lève, aussi faut-il faire vite, d’autant que l’aviation allemande devient de plus en plus active.
Les voitures sont mises dans les granges, les chevaux dans les écuries et il me faut très violemment réagir pour faire rentrer les conducteurs indigènes.
Tout finit par s’installer. Nous reconnaissons le P.C. du groupe et vers les 8 heures je vais me raser et me reposer. Le capitaine Deshons se contente de se rendre où nous devons déjeuner et de sommeiller dans un fauteuil. Quant à Richemont il ne se couche pas…
Une heure à peine passée, au moment où je m’endormais, on m’appelle ! Je peux enfin me recoucher et je dors jusqu’à midi.
L’aviation allemande est très active.
Nous entendons les bombardements comme un roulement continu.
Nous déjeunons le mieux possible pour récupérer des forces, puis nous allons Deshons, Richemont et moi dormir à l’ombre d’un arbre en attendant le soir.
Les alertes se succèdent et les réfugiés venant de Namur affluent. Des voitures automobiles ont été mitraillées. Des files de chariots avec femmes et enfants se succèdent. Nous voyons arriver un groupe de Belges très curieux avec ses sacs tyroliens et des couvertures rouges…ce sont des hommes jeunes et solides…qui sont-ils ? Nous ne le saurons jamais !
Nous n’avons aucun renseignement sur les opérations : - les radios belges, allemandes et autres sont en complète contradiction !
Nous dînons de bonne heure et faisons donner la soupe à 17 heures.
Les colonnes de réfugiés continuent de passer, l’église est transformée en infirmerie, femmes et enfants s’y abritent.
Vers 20 heures nous recevons l’ordre de départ. Les chevaux sont préparés dans les écuries. Les voitures sorties par les servants au fur et à mesure que les attelages sont prêts. On attelle et on forme la colonne par pièces le long des maisons.
Nous sommes prêts beaucoup plus tôt et plus facilement que prévu. L’ouvrier en fer Visca n’a pas pris un instant de repos. Il a passé toute sa journée à la forge pour réparer la voiture porte mitrailleuse et un chariot du parc.
Nous démarrons et nous nous engageons sur la route de Vaux. Une route au départ très encaissée. A peine engagés nous voyons une escadrille de bombardement se dirigeant sur nous. Le capitaine Deshons arrête la batterie, les conducteurs tiennent les chevaux, les servants s’abritent. Cette escadrille est française. Ce sera la seule fois durant notre équipée en Belgique où nous verrons des avions alliés !
14 mai
Notre route s’est faite sans incident. Nous traversons la forêt de Chimey, Cerfontaine, nous sommes souvent survolés sans être bombardés. Cette étape fut très dure par sa longueur et le profil accidenté de la route.
Au jour, nous traversons la route de Philippevile à Beaumont et nous allons bivouaquer dans un bois près de Jomiole, à l’ouest de Philippeville.
L’aviation allemande recommence ses bombardements massif…c’est un roulement continuel !
Le capitaine Deshons se rend au P.C. du groupe prendre des ordres. Pendant ce temps, j’organise le campement. Je fais mettre les chevaux par pièce et étale l’ensemble de la batterie le plus possible pour diminuer les risques. Servants et conducteurs creusent immédiatement de petites tranchées pour pouvoir s’abriter. Moi et l’adjudant chef Fluler nous creusons deux trous près d’un gros arbre et de là voyons ce qui se passe.
La roulante a été placée dans une maison abandonnée avec notre cuisinier près de Jamiole. Nous y déjeunons d’un poulet en dissidence et de quelques œufs.
Il faut absolument faire boire les chevaux. Mais il est impossible de les faire sortir du bois. Avec l’adjudant Petit, nous allons à Jamiole et finissons par trouver un tonneau. Nous arrivons avec ce tonneau à établir une navette et à les faire boire. Cela malgré l’aviation allemande.
Les bombardements se succèdent de plus en plus rapprochés. Nous voyons passer un 145/155 derrière son tracteur. Nous commençons avec inquiétude à nous demander ce que cela veut dire ?
Vers 16 heures le commandant Germe, commandant le 1/33ème, appelle les officiers et nous dit :
…Messieurs, la situation est grave sans toutefois être désespérée. Une brèche s’est produite, le colonel Getschem du 25ème R.T.A. monte ce soir avec son régiment et le 23ème R.T.A. Les autres groupes du 33ème R.A.N.A. ont souffert sur la route et ne peuvent pour l’instant se déplacer que très difficilement. Nous allons monter pour appuyer ces deux régiments. C’est une mission de sacrifice.
Je suis allé reconnaître le terrain. Il est constamment battu par l’aviation ennemie. Pour pouvoir tirer, il faudra s’enterrer immédiatement.
En reconnaissant la région, les avions de surveillance m’ont poursuivi et lancé des grenades.
Si nous pouvons avoir de l’aviation française, cela nous aidera, mais il ne faut pas trop y compter.
Il est probable que le téléphone ne fonctionnera pas.
Aussi, faut-il prévoir la liaison entre « infanterie-observatoire-P.C. du groupe radio(E.R.22) »
Le capitaine Deshons, le lieutenant Célier et le lieutenant Signoret vont venir en reconnaissance avec moi.
Le P.C. du groupe sera au château d’Anthie, les batteries dans la région de Gerin Maurinne.
Le capitaine Devich (capitaine adjoint) mènera la colonne des batteries.
Avant de partir le capitaine Deshons me donne ses instructions pour monter les batteries.
Je donne les ordres nécessaires au départ, choisis les attelages et laisse à l’échelon les galeries porte-douilles pour alléger les caissons ainsi que la voiture porte-mitrailleuse. Je fais prendre les deux F.M. (fusil-mitrailleur) sur les caissons.
Je confie mes affaires au mitrailleur Alphonsi en le priant de les expédier au T.R. si je ne reviens pas.
Vers 20 heures nous partons en direction de Nerville par Jamagne et Hemptine que nous ne traversons pas.
La colonne est ainsi constituée :
Célier après avoir reconnu l’itinéraire avec le commandant est revenu pour servir de guide à la colonne.
En arrivant dans les bois de Hubersant, de Tréfort et de Trieuse, nous devons descendre vers le sud pour rattraper la route de Philippeville à Dinan (N°36). Le carrefour ayant été coupé par une torpille. Un énorme cratère y est creusé nécessitant des heures de travail pour rétablir le passage. Il nous faut prendre une autre route allant vers l’Est.
Le capitaine Devich est forcé d’arrêter la colonne dans les champs. Heureusement je suis à côté d’une pâture. Je fais ouvrir la barrière et ranger les batteries avec de grands intervalles le long des haies de clôture et nous attendons les ordres.
Le capitaine Devich fait le nécessaire pour signaler notre situation. Déjà nous souffrons du manque de liaisons…pas de motocyclette !
Pour mon compte je passe la bride de Luron dans mon bras et m’endors. Je conseille à tout le monde d’en faire autant, ne gardant qu’un sous officier sur la route.
Après trois heures d’attente, le capitaine Devich étant arrivé à se mettre en rapport avec le groupe, nous repartons en empruntant un autre chemin qui au lieu de rattraper la route de Dinan va vers l’Est.
Cette route est extrêmement encombrée par les éléments du 111 R.A.C., groupe 105 et 155 et par le 19 R.A.C.. Ces deux régiments ont eu des pertes sévères. En voulant mettre en batterie ils ont été pris à partie par des escadres de bombardiers en piqué. En particulier le groupe 155 long 17 du 111 R.A.L.C. n’est pas arrivé à assembler tubes et affûts.
Nous rejoignons la route de Philippeville à Dinan. Cette route a été violemment bombardée, les arbres sont hâchés, des gardes mobiles assurent la police de la circulation.
La chaussée est jonchée de voitures et de camions démolis puis, avant Rosée, la route est complètement coupée par un entonnoir énorme au fond duquel gît un 75 et son tracteur. Le coté gauche de cette entonnoir a été un peu aménagé et nous arrivons tout de même à tourner à ce carrefour pour prendre à droite un chemin dans le Bois des Dames.
Cette fois nous nous dirigeons vers le Sud en plein bois. Il pleut maintenant et il fait très noir pour nous diriger vers nos positions. Il nous faut prendre un chemin de terre, une pente assez raide, franchir un gué, remonter une côte, le tout dans un bois encore plus haut et plus touffu que tout à l’heure. La 4ème pièce s’embourbe, se mélange à la batterie suivante. Elle ne nous rejoindra qu’au retour.
Tout le temps nous entendons marcher et parler dans le bois sans arriver à savoir à qui nous avons à faire : Français, Belges, Allemand ? Cette impression d’être surveillé sans pouvoir savoir à qui nous avons à faire est on ne peut plus déprimante !
15 mai
Nous continuons dans les bois sans pouvoir nous rendre compte exactement où nous sommes. Nous passons près d’une ferme, ce qui nous permet de connaître notre position. Nous arrivons à une fourche, prenons la route à droite où nous rencontrons des éléments, autos mitrailleuses de cavalerie escortées de motocyclettes, du groupe de reconnaissance divisionnaire qui refluent. Le jour commence à se faire sentir. Le lieutenant Signoret, qui avait reflué de la région des observatoires, transmet l’ordre de faire demi-tour et de se replier sur l’échelon.
Maintenant il fait jour, nous entrons dans un autre bois, puis traversons un plateau à découvert. Sur notre gauche nous apercevons une colonne de caissons qui a pris une autre route (probablement l’Etat Major). Je profite de ce plateau pour regrouper la batterie en me dégageant des éléments du G.R.D. qui nous gênent. Il ne paraît pas y avoir d’officiers.
Nous devons traverser un vallon très marécageux où je perds un caisson. Il est tombé de la piste sur le bas coté encore plus fangeux et s’est embourbé jusqu’au haut des roues. Il faut couper les traits pour sauver les chevaux.
Nous passons devant la ferme du Bois Blanc pour entrer dans le Bois de la Croix des Dames. Depuis longtemps il fait grand jour. L’aviation allemande commence à nouveau à circuler. Nous avons nettement l’impression d’être très loin de tout soutien possible. Les cavaliers qui étaient tout à l’heure avec nous disaient avoir fait le décrochage et être très en arrière de leur unité.
Nous n’avons pas de nouvelles de notre infanterie et de notre commandant…
Dans le Bois de la Croix des Dames nous devons traverser les positions de155L., du111 R.A.L.C. Le chemin que nous empruntons est encombré des caissons et des chariots que ce régiment a abandonnés en se retirant.
Il nous faut pour passer déplacer à bras tout ce matériel. Le lieutenant Saint Martin se dépense sans compter à ce travail très pénible, surtout après trois nuits de route. Nous arrivons aux emplacements des pièces. Beaucoup d’hommes et de chevaux ont été tués par les bombes (bombardement en piqué) et sont restés sur place. Le spectacle est horrible !
Nous recueillons deux chevaux attachés à des arbres.
Je rejoins enfin la route de Philippeville à Dinan, qui malgré son camouflage naturel au milieu des bois est constamment bombardée. Les avions allemands se livrent à une véritable chasse à l’homme. Comme l’épervier, ils surveillent leur proie, la choisissent et piquent.
Cette route est complètement déserte, pas un homme, que nous. En approchant du carrefour de la route de Florennes, nous trouvons deux chars embossés dans le fossé qui surveillent la route. Ils prétendent qu’il n’y a rien entre eux et Dinan.
Sur la route, nous étions à la merci du moindre élément de motocyclistes.
15 mai (toujours)
Puis venant de Philippeville, nous voyons arriver une Panhard. Le général Martin commandant l’artillerie du IIème corps en descend. Il m’arrête et me demande d’où je viens, très étonné de voir une batterie de 75 retraiter en ordre et au complet à une heure aussi tardive.
Il me quitte et poursuit à pied en direction de Rosée (Dinan).
Près de Philippeville, encore un bombardement. Le brigadier chef Gartner qui avait rejoint au retour avec sa 4ème pièce disparaît. A-t-il été touché ? S’est-il caché dans une maison ? Nous ne devions jamais le savoir.
Philippeville commence à brûler devant nous, l’incendie a été mis par des bombes incendiaires. Il va se propager très vite, un train de pétrole brûle en même temps, produisant un nuage noir qui obscurcit le ciel.
Dès que cela est possible, nous quittons la route pour contourner la ville par le Nord et rejoindre notre échelon de Jamiole, avec l’aspirant de Richemont qui n’a marqué aucune défaillance malgré son peu d’entrainement à faire campagne.
Nous divisons la batterie par pièces pour mieux nous cacher, en s’arrêtant régulièrement à chaque buisson, tellement nous sommes surveillés par les avions ennemis.
Nous arrivons enfin à l’Echelon, en traversant le village de Jamiole. Nous apercevons le commandant Germe qui repart en auto rechercher des traces de notre infanterie ainsi que du colonel Getschem. En ce qui concerne le colonel Getschem , nous avons su plus tard qu’il avait été fait prisonnier très rapidement.
Le capitaine Deshons, qui était allé jusqu’à l’emplacement de l’observatoire et qui avait pu l’occuper la veille dans la soirée, avait dû reculer devant la poussée allemande. Il n’avait pas été fait prisonnier, grâce à une section de char qui l’avait pris à bord d’un des véhicules pour le ramener près de Philippeville au cours de la nuit.
Son observatoire avait été occupé le 13 mai avant la nuit.
Immédiatement le capitaine Deshons, qui est extrêmement énergique et qui prévoit déjà notre départ, fait distribuer la soupe et les chevaux sont légèrement abreuvés et avoinés.
Pendant ce temps, un officier par batterie (pour notre 2ème batterie l’aspirant de Richemont) vont en auto au bois de Senzeille reconnaître un point de regroupement pour le régiment et reviennent.
Le pays a l’aspect lamentable d’une région vidée de tout ses habitants, plus aucun mouvement de troupe, que quelques petits groupes de soldats en retraite et toujours pas de nouvelles du commandant.
Nous partons. La sortie du bois en plein jour se fait sans difficulté. Avant de croiser la route de Philippeville à Beaumont nous rencontrons un tube de 155 L.17 abandonné près d’une énorme torpille non explosée sur le bord de la route. Les hommes regardent avec respect en passant…ils sont assez peu rassurés.
Nous passons par Villers deux Eglises, Senzeille et Cerfontaine.
En cours de route, j’ai pu récupérer une demi-douzaine de chevaux abandonnés, dont un reversé dans des fils de fer et un cheval de cavalerie avec arrachements et sabre qui broutait dans un champ sans que personne n’ait pu voir son propriétaire.
A Senzeille nous subissons encore un fort bombardement par avions, du reste toutes les routes sont surveillées et systématiquement bombardées.
Pendant ce bombardement, tout notre monde étant le mieux possible abrité et les attelages cachés, je vois arriver une fourragère attelée à 5, un sous officier et une douzaine d’hommes l’occupent. D’un air affolé ils demandent à tout le monde la route de France !
Après les avoir sérieusement attrapés et menacés de mon pistolet pour les faire taire, je les garde en queue de colonne pour éviter de nouveaux incidents. Quelques heures plus tard j’ai pu les remettre à des officiers de leur régiment.
En cour de route, la 3ème batterie du lieutenant Bourdieu avait reçu l’ordre de laisser un section avec le lieutenant Célier et l’aspirant de Villeneuve pour faire de l’antichar.
En arrivant au bois de Senzeille, nous sommes encore bombardés sans avoir vu un seul avion français de toute la journée. Nous y retrouvons les autres éléments du groupe mais, rien du régiment et pas de nouvelle du colonel.
Nous cachons personnel et voitures. Le capitaine Deshons donne des ordres. Il voit tout le monde, surveille tout, hommes, cuisine, chevaux et prévoit un nouveau départ. Les voitures sont disposées de manière à pouvoir partir rapidement.
Nous entendons le bruit des mitrailleuses qui se rapprochent. Vers 15 heures le lieutenant Célier nous rejoint avec le maréchal des logis Guyonneau et quelques hommes. Sa section a été prise par des motocyclistes sans qu’il ait pu tirer.
Finalement le lieutenant Saint Martin reçoit un ordre de repli sur Rance qu’il transmet.
Nous saurons plus tard que l’Etat Major du régiment était arrivé au culot du Bois, c'est-à-dire au carrefour des routes de Cerfontaine avec la route de Queue de Rance à Bousseu à 10 heures du matin et s’était vers 12 heures replié sur Fourmies. Là encore le manque de liaison a été regrettable.
La colonne se reforme. La 2ème batterie se trouve en queue. Le capitaine Deshons en tête de la batterie. L’aspirant de Richemont avec la 2ème section et moi en arrière pour éviter les trainards.
Tout d’un coup j’entends derrière moi une galopade effrénée et je vois arriver une suite de fourgons au galop, les conducteurs activant leurs chevaux comme si quelque chose les poursuivait. Je me porte à leur rencontre. Sur le premier fourgon se trouve un conducteur du train et un capitaine médecin. Je parlemente pour les faire arrêter, car je voyais déjà la catastrophe produite par ce détachement nous doublant et semant la panique. N’ayant obtenu aucune réponse par les moyens normaux. J’ai dû menacer de mon revolver pour arriver au résultat cherché. En effet devant cette menace tout est rentré dans l’ordre et le convoi nous a suivi jusqu’à Rance sans créer de nouveaux incidents.
En traversant le ruisseau qui passe au culot du Bois, nous retrouvons le lieutenant Durand du 2ème groupe. Il est à bicyclette et a perdu toute trace de sa batterie. Il demande avec émotion pourquoi nous reculons. Il est désespéré des évènements.
Au village de Queue de Rance nous sommes arrêtés par un embouteillage .Etant constamment surveillé par l’aviation allemande, il faut nous méfier. Mais cet fois c’est sérieux… deux bombes tombent sur nous !
Le capitaine Deshons à cheval ne bronche pas, il reçoit sur lui un peu de terre…mais n’a pas de mal. Pour moi, j’étais à pied, j’en suis quitte pour un plat ventre en tenant Luron par la bride. Ces deux bombes ont encadré la route de chaque côté au moins à 5 mètres. Elles ont fait deux gros entonnoirs, tué un cheval, causé la rupture de plusieurs timons mais somme toute des dégâts peu graves et nous repartons immédiatement.
Tous ces incidents commencent à influencer les conducteurs indigènes (qui deviennent nerveux).Il faut les tenir fermement en main. Comme nous repartions un chef du 111 R.A.L.C. avec deux attelages haut le pied veut nous dépasser. Je fais atteler ces chevaux sur la forge qui vient d’être en partie démonté, ce qui ne va pas tout seul et je garde le sous officier comme chef de voiture.
Vers 18 heures trente nous arrivons à Rance. Il n’y a plus avec nous aucun élément de l’Etat Major du groupe. Il reste, la 1er batterie, capitaine Noé- (seul officier), la 2ème batterie- capitaine Deshons, lieutenant Princé, aspirant de Richemont, la 3ème batterie- lieutenant Bourdieu (1er section). Nous n’avons plus aucun matériel de liaison ni de transmission.
En cour de route les Belges nous ont un peu ravitaillés. Dans la forêt de Chimay nous avons été dépassés par un capitaine de cavalerie et quelques hommes. Il n’a pas voulu rester avec nous prétendant ne plus avoir de munitions.
Le Bois de Senzeille et surtout la Forêt de Chimay étaient remplis de dépôts de munitions. Tout a dû être abandonné car aucune unité n’était munie de pétards de cavalerie pour les faire sauter !
15 mai(toujours)
Nous trouvons Rance en état de défense, des autos mitrailleuses munies de canon anti char surveillent les entrées. Nous traversons la ville et allons vers la route de Beaumont.
Le capitaine Deshons arrête la colonne et se rend à la place de Rance. Il trouve un commandant (il y avait aussi un général d’…) qui s’occupe de mettre la ville en état de résister, au moins quelques heures, pour protéger la retraite. Il nous assigne une mission pour nous et la 3ème batterie avec la section lui restant ainsi que pour la 1er batterie du capitaine Noé.
Pendant que nous attendons le capitaine Deshons, des soldats Belges passent à côté de nous. Ce sont les premiers que nous voyons depuis notre entrée en Belgique. Ils nous signalent que Beaumont est déjà occupé par l’ennemi.
Le capitaine Deshons revient. Il nous explique ce que le commandant attend de nous : -Protéger la retraite et retarder .Nous devons occuper avec la 1er batterie la crête au sud de la Rance tandis que la section restante de la 3ème batterie sera mise en anti chars.
Nous faisons demi-tour et rentrons dans Rance où nous faisons boire les chevaux et manger l’avoine. Pendant ce temps le capitaine Deshons et le capitaine Noé vont reconnaître les moyens d’accès et piqueter les emplacements des pièces. Nous trouvons à nous ravitailler en vivres dans une maison abandonnée, l’approvisionnement est difficile.
Pendant notre attente, nous avons été dépassé par la 8ème batterie avec les lieutenants Villers et Castella . Le commandant de batterie, le lieutenant Zéler n’arrivera qu’à la nuit et emmènera son unité sur Trélon.
A la nuit nous allons mettre en batterie. Nous sommes tout à fait sur la crête, auprès d’une maison. Nous regardons au nord-est. Notre batterie est à gauche, la 1er à droite. Nous sommes dans un verger en esplanade et dominons complètement l’immense Amphithéâtre qui entoure Rance au nord-est. Aussitôt les servants creusent des tranchées, les conducteurs abritent leurs chevaux dans la bordure de la forêt de Rance qui est à proximité de la position.
Le capitaine Noé étant seul, le commandant de la place de Rance lui adjoint un lieutenant du 111ème R.A.L.C. qui a perdu son unité. Voir (4)
A la nuit noire tout est installé. Il ne reste plus qu’à laisser une section de garde et à se reposer. Nous forçons une porte de la maison. Une grange permet aux hommes de se reposer. Pour nous, avec le capitaine Deshons et l’aspirant de Richemont, nous partageons à trois deux matelas et un poulailler. Mais merveille, la cave est bien pourvue de bière et vin et grâce à une razzia chez l’épicier tout le monde dîne légèrement en y ajoutant quelques boites de la réserve de la popote.
Nous effectuons une dernière ronde pour voir si tout est bien en place, si la section de garde a bien compris son rôle (…le tir devant être déclenché à la vue d’une fusée), puis nous nous endormons un peu. Il est 23 heures au moins.
La nuit se passe sans incident.
Le jour n’est pas encore levé que nous sommes debout à attendre d’y voir assez clair pour pouvoir observer. Sur la route nous voyons quelque chose rentrant dans Rance, sur le glacis en face rien, on devine seulement quelques tirailleurs…très peu. Puis nous voyons défiler quelque chose entre Rance et Trieux-Bonchamp.
Dés que le jour l’a permis, les capitaines Noé et Deshons sont descendus à Rance pour chercher des ordres. Ils reviennent porteurs des instructions écrites suivantes : Rejoindre dans la journée la ligne fortifiée par Eppe- Sauvage et Trélon en occupant deux positions avant Eppe-Sauvage pour protéger le repli de quelques éléments encore dans la région.
Les conducteurs bricolent, les servants mettent les pièces en disposition de route. Nous les faisons sortir sur la route à bras. Lorsque nous allions quitter la position, deux lieutenants du 111ème R.A.L.C. viennent verbalement nous dire de rester. Les capitaines Noé et Deshons décident finalement d’exécuter les ordres qu’ils ont par écrit. A ce moment arrive une vieille femme se prétendant la propriétaire de la maison et nous menaçant de la justice Belge pour avoir occupé sa ferme et effectuer des trous dans son verger. Pour éviter tout incident avec les hommes, je la fait garder à vue jusqu’au moment de notre départ.
Nous descendons à travers bois jusqu’à l’Eau d’Eppée, de là nous nous dirigeons vers l’ouest, traversons un ruisseau venant du nord et occupons une position commandant la jonction des deux vallées. Nous passons par Baisse-Cul, l’étang du moulin et occupons une seconde position avant la frontière. Là, le capitaine Deshons envoie le maréchal des logis Deschasseaux à cheval à Moustier en Fagne faire la liaison avec un bataillon du 25ème R.T.A. Nous venions en effet de recevoir l’ordre apporté par un cavalier du G.R.D.94 de faire cette liaison.
Deschaseaux devait se rendre, au 2ème carrefour au sud de Moustier en Fagne sur la route d’Eppe Sauvage à Bailièvre, à une maison forestière, dans la région dite « l’Hermitage ». Ensuite il devait se renseigner sur le point où notre échelon devait nous attendre dans la forêt de Trélon. Il est revenu sans avoir trouvé le 25ème R.T.A.ni notre échelon.
Pendant ce temps la compagnie d’arrière garde du 25ème R.T.A. est passée légèrement au nord de notre position. Nous sentant encore trop en arrière, le capitaine Deshons donne le signal de départ. Nous passons par Rue de Storchon pour reprendre la route de Trélon. Vers 16 heures nous passons l’Eau d’Eppée ( Eppe sauvage). Le génie nous attend pour faire sauter le pont. Trois chars seulement protègent notre retraite et l’équipe de du génie chargée des destructions.
Notre dernière voiture venait à peine de passer le pont qu’une escadrille allemande nous survole en mitraillant et en lançant quelques bombes. Heureusement, elle n’est pas dans l’axe de la route qui est en « S » pour atteindre le pont et la batterie s’en tire avec un timon cassé.
Nous réparons et repartons. Cinquante mètres plus loin le pont saute. Je suis couvert de terre et de débris. Les chevaux et les conducteurs indigènes ont très peur en recevant ces projectiles. Presque simultanément, une autre escadrille de bombardement lâche quelques bombes et nous mitraille de 10 mètres de hauteur, les balles labourent la route. Cette fois, c’est sérieux. Dib un conducteur indigène a les deux joues traversées par une balle. Deux chevaux sont tués et plusieurs blessés dont Capitoul le cheval du capitaine Deshons. Le maréchal des logis Marceau a reçu une balle qui a pulvérisé son révolver en le renversant. Il n’a aucune blessure. Il est seulement un peu «étourdi par le choque. Par contre, le matériel a souffert, les 4è et 5è caissons sont dans le ravin, la 4è pièce est à cheval sur une haie, le désordre est inimaginable. Les conducteurs et servants indigènes ont disparus. Le capitaine Deshons et moi les poursuivons revolver au poing.
Enfin après avoir enlevé les chevaux morts et une nouvelle fois réparé les timons, (cette situation des timons devient critique) le capitaine Deshons repart en me laissant le soin de sortir la 4è pièce et les 4è et 5è caissons.
Avec l’adjudant chef Fluler, les maréchaux des logis Deschaseaux, Courtillet, Boos et les servants Biekher et Gerbaut nous arrivons, en les faisant remorquer par un char, à remettre ce matériel sur la route. Nous faisons atteler le canon et un caisson. Nous attachons le 5è caisson derrière le 4è car nous n’avons plus de timon et repartons.
Un seul des deux ponts a sauté, le plus au nord. Le génie vérifie la charge du second et le détonateur et recommence l’opération avec le même insuccès. Au troisième essai n’ayant plus de cordon ni de détonateur, il abandonne.
Naturellement avec mon matériel rescapé, je me trouve loin de plusieurs Km derrière la colonne. Nous suivons le GC119 vers Saint Hermann. Je rencontre le général Sancelme commandant la 4è D.I.N.A. voir(5) (dont dépend le 33è R.A.N.A.). Il est à motocyclette, s’arrête devant moi, me reconnaît, me demande ce qui se passe et où sont les batteries. Je lui rends compte sommairement de ce qui est arrivé.
16mai – suite
Nous traversons la région des casemates, il y règne une très grande activité, tout le monde s’affaire. Le 5è R.T.A.(Régiment de Tirailleurs Algériens)s’efforce de mettre les ouvrages en état de défense. C’est un va et vient continuel de voitures, de camionnettes transportant munitions et matériel.
Puis en arrivant à l’étang de Trélon, je rencontre le lieutenant Petit qui transmet, à tous les commandants de batterie, l’ordre de se rendre au P.C. du colonel au Sanatorium de Trélon. J’arrive à rejoindre le capitaine Deshons et lui transmet les instructions données par le lieutenant Petit.
Il se rend au Sanatorium, voit le colonel Siviande commandant le 33è R.A.N.A. qui lui demande d’abord d’occuper près de Trélon les positions d’un autre groupe, puis après réflexion nous envoie à Anor avec mission d’occuper la position avancée que nous avions construite.
Le capitaine Deshons a son cheval Capitoul qui a été blessé à la Marbrerie d’Eppe Sauvage. Je lui prête mon Luron. Il part en avant avec l’espoir de retrouver à Anor nos dossiers de position et en suite d’aller dans la Haie de Fourmille à la recherche de notre échelon que les adjudants Petit et Bizio avaient emmené la veille de Rance.
Comme il était prévu en cas d’occupation des positions que l’échelon irait près de la carrière du Hauty, il doit s’y rendre. Je repart avec Richemont et la batterie. Nous sortons par la route d’Ohain. Au même moment une batterie se met à tirer sur notre droite avec rage. Tout notre personnel apeuré se précipite dans les fossés, les chevaux pris de peur s’emballent. Je passe en tête au galop (…je suis monté sur un cheval de GRD récupéré) et arrive enfin à faire arrêter les attelages. C’est encore un incident, il faut tout remettre en ordre, je suis assez fatigué.
Enfin nous arrivons à Anor. En arrivant au carrefour, un lieutenant du 233 RANA à moto et les gardes mobiles me signalent que des éléments avancés ennemis se sont déjà infiltrer à travers la ligne fortifié et se trouvent arrêtés au niveau du cimetière, soit à environ 500 mètres de nous. Nous sommes donc dans l’impossibilité pour nous de rejoindre la position avancée qui se trouve au-delà du cimetière sur la route qui mène à la passe d’Anor.
16 mai-suite
Il est environ 10 heures. Je décide de me rendre à la position arrière qui est sur la lisière Est du bois de la Haie de Fourmils au Sud Ouest d’Anor. Je laisse l’aspirant de Richemont au carrefour avec un planton pour indiquer au capitaine Deshons où nous sommes.
La batterie arrive sur la position arrière. J’essais tout d’abord d’occuper la position de la 3è batterie que je connais parfaitement et qui est plus facile d’accès que la notre. Pour gagner du temps et ne pas courir le risque de voir les pièces bloquées dans les alvéoles en cas de départ, je mets immédiatement une section en batterie, dans un pré, en avant des positions.
Le reste des voitures reste sur la route, dissimulé le long des bois. Je fais faire demi-tour pour être prêt à partir en cas de besoin. Là seulement je m’aperçois qu’une pièce est inutilisable, des balles de mitrailleuse (probablement perforantes) ont perforé la jaquette, abîmé la bouche et l’appareil de pointage.
Nous sommes à peine installés qu’arrive avec le lieutenant Bourdieu les restes de la 3è batterie.
L’aspirant de Villeneuve s’installe au Nord de la maison de la rue d’Irson . En attendant le retour du capitaine Deshons, je lance quelques salves sur la route de Beauwets du Pilate.
Puis le capitaine Deshons revient. Il n’a trouvé personne de notre échelon et n’a pas pu savoir ce qu’était devenu nos dossiers de position. Un peu avant la nuit un lieutenant d’infanterie arrive seul disant que le blockhaus qu’il défendait vers le point du jour avait été pris et qu’il se repliait. Le capitaine Deshons l’emploie pour doubler les postes que nous avions établis en avant de la position pour éviter toute surprise.
Ce blockhaus, comme tous les ouvrages du secteur de l’Est de Trélon, a été occupé par les unités refluant de Belgique, en particulier, régiments du 11è CA et pionniers du 611è CA. Ces troupes regroupées sur la ligne de défense manquée d’armes automatiques et de munitions. De plus, aucune liaison téléphonique ne fonctionnait. En effet comme, je l’ai déjà signalé, si les lignes enterrées étaient en place, les boites de coupure et les centraux n’étaient pas branchés.
Suivant les instructions du capitaine Deshons qui a aussi pris sous son commandement les restes de la 3è batterie du lieutenant Bourdieu, nous faisons boire les chevaux et leur trouvons du fourrage sur place.
Pour les hommes, il n’y a plus rien pour ainsi dire. Je distribue quelques conserves de la popote et un peu de pain pour parer au plus urgent. En venant, nous avions eu la chance de trouver un camion abandonné vers Trieux contenant quelques vivres et du vin. Mais le peu qui avait été récupéré était déjà consommé.
17 mai
Dans la nuit aucun incident, nous entendons quelques tirs de 155 dont plusieurs fois les trajectoires passent au dessus de nos têtes. Le manque de nourriture et la fatigue, pour le personnel, ont provoqué pas mal de cas d’hallucination mentale pénibles et démoralisantes. Les gens hommes se croyaient cernés et sur le point d’être pris.
Debout avant le jour le capitaine Deshons cherche encore à établir quelques liaisons. Il se rend au concasseur pour essayer de voir ce qui se passe. Nous n’avons plus aucun matériel de transmission.
Le capitaine envoie l’aspirant de Richemont à Mondrepuis où il trouve quelques éléments du 25ème RTA, mais pas d’instruction. Il envoie aussi un sous officier vers Fourmies sans succès.
Ayant acquis la quasi certitude que nous étions seul et qu’il n’y avait personne en ligne devant nous, il décide de se retirer par la Haie de Fourmies en direction de Montplaisir. Il espérait y retrouver le colonel.
En effet vers Monplaisir nous retrouvons quelques éléments de la B.H.R. et un sous-officier prétend attendre le colonel.
J’ai eu plus tard une lettre de l’adjudant chef Protois indiquant que le matin du 16 mai le train réglementaire était à Vaulpoix (à environ 6 Km à l’Ouest de Vervins)et précisant que le 17 mai au matin le colonel Siviende l’avait envoyé avec le motocycliste Rossé avec pour mission de ramener l’Etat Major. Malheureusement ils avaient trouvé Etriaupont occupé ainsi que Vaulpoix. Vervins était donc également occupé. L’adjudant chef Protois a pu néanmoins rejoindre les lignes françaises le 19 mai
(voir extrait de sa lettre ci-joint).
17 mai
Le capitaine Deshons remonte alors vers le Nord pour nous mettre à l’abri dans la lisière Sud Ouest de la haie de Fourmies. En cours de route je trouve dans deux fermes du foin, du fromage et du cidre.
La batterie du lieutenant Bourdieu passe. Je tente de l’arrêter mai il ne m’entend pas. Je remonte donc à pied et envoie un attelage charger la marchandise : foin, fromages, conserves de viande.
Pendant ce temps, le capitaine Deshons fait faire demi tour, les chevaux mangent, les hommes se restaurent un peu…on est prêt à repartir. Vers 11 heures, ne voyant personne, ni le colonel du 233, ni aucun élément d’infanterie ou du G.R.D. 1 qui doivent, soit passer, soit nous envoyer des ordres, le capitaine Deshons décide de se replier sur la Capelle.
Nous passons par Haudray. Juste comme nous étions devant le monument rappelant le point où en 1918 les parlementaires allemands sont rentrés dans les lignes françaises, nous sommes survolés par une vieille connaissance, un petit avion de reconnaissance allemand , peint en gris, surnommé partout « le mouchard » Nous tirons sur cet avion au PM sans aucun résultat. Le fourgon mitrailleur permettant de tirer sur route, dont nous avions été doté en avril, s’étant révélé inutilisable, car au premier essai les chevaux s’étaient emballés. En nous survolant, il lance une énorme fusée blanche extrêmement brillante.
En arrivant dans les faubourgs de la Capelle, nous entendons les mitrailleuses qui crépitent, l’entrée de la ville est interdite par des barrages. Les routes sont coupées, des maisons on nous mitraille…impossible de traverser la ville. Je suis en queue de colonne, la batterie s’arrête, je remonte pour voir ce qui se passe. En même temps, arrive un sidecar, un officier en descend, rentre dans les maisons…ami ou ennemi ? Nous ne le saurons jamais !
Des autos mitrailleuses arrivent et nous prennent à parti par derrière, nous ne pouvons plus ni avancer ni reculer. Le mitrailleur Alphonsi est tué et le maréchal des logis Boos est grièvement blessé aux jambes.(Il devait mourir quelques jours plus tard à l’hôpital en Belgique)
Le capitaine Deshons pris de tous côtés cherche à faire échapper au moins le personnel et les chevaux par la voie de chemin de fer- seul issue-Que faire d’autre contre une mitrailleuse derrière des murs avec un personnel éreinté et l’impossibilité de mettre en batterie. Je pars le dernier. Une auto mitrailleuse passe derrière moi, je suis pourtant à cheval, mais elle ne me voit pas. Avec le brigadier Demange nous rentrons dans la forêt du Nouvion. Une heure et demi plus tard, nous trouvons une compagnie d’infanterie, qui avait évacué la Capelle depuis la nuit.
Nous traversons la forêt du Nouvion sans rencontrer âme qui vive, puis nous arrivons à Nouvion. Je m’y arrête, de braves gens font boire et manger les chevaux. Ils nous donnent un peu de pain et du fromage.
Partout les routes sont encombrées de réfugiés. Tous les moyens de locomotions sont employés, charrette, chariot, tracteur agricole avec remorque, hommes, femmes et enfants y sont entassés. C’est un spectacle lamentable.
Une demi-heure après nous arrivent les autres rescapés, capitaine Deshons, lieutenant Bourdieu, aspirant de Richemont, adjudant chef Fluler et Lereau. Partis avant nous, ils avaient pris un autre chemin au lieu de couper à travers bois.
Nous repartons tous en groupe avec l’intention d’aller passer l’Oise vers Evreux. Nous faisons route avec un détachement de cavalerie qui n’a plus de munitions.
Parmi les réfugiés et dans les villages les gens ont déjà vu passer des motocyclettes et automitrailleuse allemandes et le bruit court que les allemands occupent déjà le canal de la Sambre à l’Oise.
Vers Bergues nous trouvons sur la berge de la route deux parachutistes qui ont été fusillés. L’un porte une soutane.
Enfin à Oisy, nous trouvons un passage en déplaçant une barricade que nous remettons en place derrière nous. Il n’y a aucune troupe dans la région.
Nous arrivons à Wassigny vers 18 heures et trouvons le pays en état de défense. Un groupe d’artillerie est en position dans la région, les accès du village sont barrés et des 75 attendent en antichars. Le capitaine Deshons se met en rapport avec le commandant et au PC retrouve le colonel Siviende (notre colonel) avec qui nous avions perdu tout contact depuis la veille le 16 mai à Trélon. Le colonel demande au capitaine Deshons si nous avons encore du matériel, voyant que pour l’instant nous n’étions d’aucune utilité, nos hommes n’étant même pas armés.
En effet, à la mobilisation, les batteries n’avaient touché que 25 mousquetons et quelques revolvers pour les cadres. De sorte une partie des servants n’avait pas d’armement individuel et les conducteurs étaient tous sans armes.
Le colonel Siviende nous donne l’ordre de nous retirer en direction de Saint Quentin où, parait-il, la 4è D.I.N.A. doit se regrouper. Itinéraire : Bohain – Saint Quentin.
En sortant de Vassigny nous rencontrons un bataillon d’infanterie prenant position dans la région de la forêt d’Andigny pour intervenir sur le canal. (Il était déjà malheureusement trop tard, Guise était déjà certainement occupé ainsi probablement que le passage vers Poix et Vaudecourt).
Nous arrivons à Bohain à la nuit tombante. Nous y retrouvons quelques éléments du G.R.D. 94 de notre division. Très peu de monde, plus de matériel. On nous donne quelques boites de singe, quelques boules de pain…du pain de guerre.
Il est décidé que les chevaux vont manger, que nous allons dormir deux ou trois heures et repartir pour Saint Quentin.
J’ai su plus tard par le lieutenant Hollande, officier d’approvisionnement du 2è groupe qu’il avait été blessé avec le colonel Siviende. En quittant Vassigny à la nuit tombante leur voiture avait littéralement buté sur une colonne motorisée allemande. Le colonel avait reçu une balle dans la région du genou et une autre dans l’épaule et Hollande, une balle dans l’épaule.
Tous deux ont été transportés à Hirson. Le colonel s’est rétabli assez rapidement, mais Hollande a perdu un bras et a été rapatrié comme grand blessé. Il a pu me dire ainsi ce qui été arrivé. J’avais appris auparavant par Madame Siviende, à qui j’avais rendu visite à Poitiers pour prendre des nouvelles du Colonel, qu’Hollande avait été blessé.
18 mai
Vers deux heures du matin, nous rassemblons notre monde et partons pour Saint Quentin. Dés que le jour se lève, le spectacle sur la route est lamentable. Voitures civiles, chariots de réfugiés, voiture militaire jonchent la route qui a été bombardée et mitraillée par l’aviation allemande. Hommes, femmes et enfants morts sont sur le côté de la route ainsi que des soldats.
Je revois toujours une Citroën avec un homme au volant la gorge tranchée, les trois autres occupants morts et restés à leur place, un tirailleur marocain les jambes carbonisées, des enfants dans les bras de leur mère.
Les fermes et les villages ont leurs toits défoncés.
Le PAD de la 1er division marocaine retraite aussi par cette route que ses chariots encombrent. La veille cette unité avait subi sur cette route des pertes sensibles.
L’aviation allemande commence à être très active. Vers sept heures nous arrivons à Lesdins qui n’est pas encore complètement évacué. Les habitants nous préviennent que Saint Quentin a dû être occupé depuis la veille (17 mai) et que des automitrailleuse sur les route et en particulier sur celle où nous sommes depuis la veille (G.C.8).
Une colonne de réfugié paraît être arrêtée un peu plus loin que la sortie de Lesdins par un poste allemand.
Le capitaine Deshons et le Lieutenant Bourdieu décident, de prendre le chemin de gauche sur la berge du canal de Saint Quentin en remontant vers le Nord, puis de se cacher dans un boqueteau qui borde le chemin.
Un gros talus nous protège du côté du canal. Le bois est assez épais pour nous cacher hommes et chevaux. Mais à peine sommes nous installés que trois automitrailleuses allemandes passent sur l’autre rive du canal et ouvre le feu sur nous.
Le brigadier téléphoniste Cloarec, de la 3ème batterie est tué d’une balle dans la tête ainsi que deux chevaux. Quoique très court ce nouvel accrochage fût tout de même assez violent.
Nous entendons de l’une des trois voitures appeler Siegfried et elles repartent vers Lehaucourt croyant sans doute avoir détruit notre petit groupe. Il est environ huit heures. Nous essayons de nous frayer un passage vers l’Ouest. Nous coupons des haies et des fils de fer, ce qui est long sans outils.
Pendant que nous dégagions une issue, le Capitaine Deshons décide de partir avec l’adjudant chef Fluler pour voir ce qui se passe dans la région de Omissy et de la route nationale 44 (de Saint Quentin à Cambrai).
Nous arrivons à sortir du bois pour gagner un boqueteau sur la crête à environ moitié chemin du canal, de la route 44 et de Thorigny. Cet endroit traversé par un chemin très creux, plus de deux mètres, nous a servi d’abri jusqu’au soir.
En faisant ce déplacement, nous voyons encore une fois le capitaine Deshons et l’adjudant Fluler en conversation avec un groupe de soldats à quelques cent mètres de nous. Jusqu’au soir nous avons attendu leurs retours sans savoir ce qui leurs étaient arrivés…Ce n’est que plusieurs mois après que j’ai su qu’ils avaient été fait prisonnier.
Vers dix heures nous voyons un gros nuage de poussière à l’Est de Saint Quentin. A la jumelle, je peux distinguer une colonne motorisée arrivant par un chemin de terre (car il y a beaucoup de poussière). Cette colonne paraît contourner la ville par le Nord et vient s’arrêter devant nous sur la route de Cambrai n°44, entre Saint Quentin et Bellenglisse.
Ces troupes ont l’air de se sentir en sécurité. Comme nous avions un peu l’espoir en apercevant de loin cette colonne, qu’elle était composée de troupes alliées, l’adjudant chef Lereau, le maréchal des logis Duplan et un téléphoniste Caillebaut se sont approchés à moins de cinquante mètres. Il n’y avait aucun garde, les mécaniciens faisaient le plein d’essence, les hommes mangeaient, se rasaient.
Puis cette unité est repartie en direction de Cambrai. Pendant cet arrêt, notre vieille connaissance, le petit avion gris est venu se poser dans un champ et est reparti.
Le soir la voie paraissant libre, je veux entrainer tout le monde en direction du Sud Ouest. Tout le monde est exténué et personne n’a pris un repas normal depuis le 18 mai. Depuis notre départ d’Anor le 12 mai, nous avons marché sans arrêt et sans dormir une seule nuit. Les chevaux, qui restent, sont complètement fourbus.
Bourdieu est hésitant et ne crois pas que nous puissions arriver à rentrer dans les lignes françaises, puisque la route n° 44, que de toute façon il nous faut traverser, paraît gardée par des postes allemands.
Je décide donc, que de toute façon j’essaierai l’impossible pour regagner les lignes françaises. Dans ce but, je pars à la nuit pour reconnaître les passages.
Quelques indigènes disparaissent pendant la nuit en direction de l’Ouest.
19 mai
Je reviens vers deux heures du matin ayant reconnu les postes de DCA sur la route n°44 ainsi qu’un itinéraire pour traverser, un bois bien abrité où nous pourrons encore nous cacher tout le jour. Toute la nuit la DCA allemande établie au Sud de la route n°44 a été extrêmement active.
Il faut abandonner nos pauvres chevaux, je donne un dernière caresse à mon brave Luron. Je fais mettre les harnachements à l’abri dans une haie, car nous espérons bien revenir les chercher puis nous poussons les chevaux dans les champs pour qu’ils puissent manger. Que sont ils devenus ?
Nous sommes bien arrivés dans notre nouveau bois, mais les vivres font défaut. Avec Bourdieu, de Richemont, Lereau, Duplan et quelques hommes nous nous rendons au château de Thorigny où nous trouvons du cidre, du vin, des confitures mais pas de pain. Nous arrivons tout de même à nous restaurer. Une visite plus poussée du château nous permet de découvrir d’autres ressources. Nous rapportons pas mal de provisions et les hommes affamés se jettent littéralement dessus. J’organise sous les ordres du maréchal des logis Grivel, une seconde expédition qui rapporte encore bière, vin, œufs, confitures.
Une reconnaissance, l’après midi, près de la route et de la ferme permet de mieux connaître le terrain et de situer les postes allemands.
Il faut maintenant partir, je divise mon monde en plusieurs petits groupes, qui doivent me suivre à courte distance et je prends la tête.
Arrivé à la route n°44, je suis forcé de faire demi- tour étant trop près d’un poste allemand. Nous rampons un peu plus loin et passons sans encombre la route. Après avoir attendu les autres groupes, nous repartons.
Nous devons traverser le chemin(vo) de Gricourt à la route n°44, puis le chemin (1c23/3) de Gricourt à Saint Quentin et encore le chemin de Fresnoy le Petit à Fayet (1c7).
Nous arrivons sans apercevoir âme qui vive jusqu’à Gricourt. En évitant le village par le Sud, nous tombons sur un tas de ferrailles et faisons un bruit qui nous parait assourdissant. Nous nous apercevons que le village est fortement occupé. Mais, probablement pour fêter leur avance et aussi à cause de copieuses libations, ils dansent, chantent, font un bruit épouvantable et ne nous entendent pas.
20 mai
Vers une heure du matin nous atteignons la route de Saint Quentin à Vermond au Nord Ouest de Froncilly (n.336).
Nous avons perdu de vue dans la nuit les autres groupes. De temps en temps pour faire souffler les hommes, il a été nécessaire de s’arrêter et notre colonne s’est disséminée.
A la jonction du chemin de Maisseny (vo) et de la route de Vermond à Saint Quentin, nous voyons des ombres et entendons parler allemand, puis le bruit d’une motocyclette que l’on met en route. Nous nous couchons dans un champ de trèfles revolver au poing, prêts à tout évènement. La motocyclette nous a vu, se dirige vers nous, tourne à dix mètres. Nous ne bougeons pas. Il nous interpelle en allemand : « francoux verboten)…puis il accélère et passe pour aller à Froncilly. Nous le voyons de nouveau et l’entendons parler, faire marcher sont klaxon. Il rentre dans Francilly pendant qu’un groupe se forme. Nous sommes pris entre deux groupes, 100 mètres à droite et 200 mètres du village.
20 mai
Nous risquons la seule solution possible, se rejeter dans la forêt d’Holnon qui est de l’autre côté de la route à 100 mètres.
D’abord nous avons l’impression que l’on nous poursuit, Puis nous tombons sur une cuisine roulante. Heureusement pour nous les cuisiniers dorment ! Nous atteignons une partie plus épaisse de la forêt encombrée de bois mort, sans sentier, une vraie forêt vierge.
Le bois se casse sous nos pieds, on croirait entendre une troupe d’animaux sauvages. Nous avons l’impression d’être suivis, aussi nous arrêtons nous de temps en temps pour écouter. Nous finissons par trouver un sentier qui nous mène à une chapelle commémorative du miracle de Saint Quentin. (… Saint Quentin étant à la chasse et ayant très soif fit jaillir une source en pleine forêt)…Nous avons-nous aussi très soif, mais la source est sous la chapelle et une porte en fer protège l’entrée . Nous devons repartir sans avoir bu !
Nous traversons alors le chemin d’Attilly à Francilly et le chemin de fer. Nous suivons la lisière Sud Est de la forêt d’Attilly qui prolonge la forêt d’Holnon et au jour nous nous arrêtons à la corne Sud Est.
Le maréchal des logis Duplan se rend à Attilly pour voir si le village est occupé. Il veut prendre de l’eau à une pompe. Des femmes lui en interdisent l’accès, il emploie les grands moyens, sort son revolver et rapporte un bidon d’eau.
Nous organisons notre campement. Près de nous un grand trou d’obus de la dernière guerre est plein d’eau un peu croupie, mais après avoir épuisé le bidon de Duplan, nous la trouvons excellente tellement nous avons soif.
Vers dix heures, en compagnie de l’aspirant de Richemont en passant par le bois, nous nous rendons à Attilly pour y trouver du ravitaillement. Une maison en est en lisière, nous traversons une haie, cassons un carreau et rentrons par la fenêtre. Nous trouvons un véritable magasin d’intendance : gâteaux secs, pommes, sucre, vin, chocolat et un plat de riz au lait tout frais. Nous chargeons le tout dans un panier . C’est bien lourd, mais nous pourrons tous ainsi tenir jusqu’au lendemain …Bourdieu déclare nous donner l’absolution !!!
Toute la journée la route d’Attilly à Etreilles ( g c 33) a été sillonnée de motos et de voitures. Nous avons vu aussi de gros convois motorisés se dirigeant vers Beauvais, Mouchy, Lagache. L’un a été arrêté par une grosse explosion et a dû rebrousser chemin après être resté longtemps sur place. ( là comme la veille, sur la route n°44, si nous avions eu de l’aviation, ces colonnes auraient beaucoup souffert…)
A la nuit, nous repartons, direction Sud Ouest à la boussole. C’est de toute part un véritable feu d’artifice. Partout, les bosquets, les haies, abritent des mitrailleuses, des postes de guet lancent des fusées, les maisons isolées et les lignes d’arbres sont occupées. Il faut faire très attention, mais heureusement nous voyons d’où partent les tirs et les signaux. Cela nous permet d’éviter ces postes.
Pour la première fois cette nuit l’aviation française est très active.
Nous traversons les routes G c. 33 et 1 C 23, passons au Sud de Beauvais sur une piste. Nous traversons un pacage où sont des animaux. Un taureau nous poursuit en meuglant, nous n’avons que le temps de sauter la clôture…
En passant près d’une ferme, Duplan va chercher de l’eau. Nous faisons le guet près à intervenir s’il y a lieu. Ensuite nous coupons les chemins G c 32 et G c 34 puis nous passons au Sud de Lanchy et d’Ugny. Nous longeons la route d’Ugny à Matigny avec l’intention de faire le tour de Matigny. Là le lieutenant Bourdieu veut absolument rentrer dans une maison pour dormir. Mais en arrivant au carrefour de la route d’Ugny à Matigny avec la route de Villiers Saint Christophe, nous entendons un bruit de moteur que l’on met en route. Nous aplatissons dans un buisson. Un instant plus tard une auto mitrailleuse passe sur la route, sans nous voir. Grâce au clair de lune, nous voyons très bien la croix noir sur le côté du véhicule.
Après cette alerte nous continuons notre chemin pour contourner Matigny par le Sud. Il n’est plus question de coucher dans une maison. Près du carrefour Sud Est de Matigny, nous tombons sur deux guetteurs qui surveillent la vallée de la Somme. Il nous faut ramper pour nous en éloigner. Mais nous avons nettement l’impression que nous touchons au but. Les lignes françaises sont proches !
21 mai
Nous traversons encore les chemins ( G c 17 et G c 18) pour enfin aboutir en contre bas dans une ancienne carrière sur un superbe camp Anglais abandonné. Nous rejoignons enfin la route de Béthencourt et nous nous cachons dans des joncs. Nous sommes en plein marais de la Somme.
Nous nous étendons et essayons de dormir un peu malgré l’humidité.
Dès la pointe du jour, malgré la fatigue car depuis le 10 mai, je n’ai jamais dormi plus d’une ou deux heures de suite, ni enlevé mes souliers, je pars en reconnaissance. Je dois voir si je me suis pas trompé et qu’effectivement les lignes françaises sont bien sur la Somme et dans ce cas, si le passage est possible.
Je m’aperçois que nous sommes près de Béthencourt, que le pont basculant sur le canal a perdu son tablier, mais que les poutres existent encore sur la rivière. Le pont est détruit, mais l’écluse est encore praticable.
Je reviens en arrière, réveille mon monde,, nous arrivons à l’écluse qui se passe facilement, puis au pont qu’il faut passer sur les poutres. Tout le monde passe, ceux qui n’ont pas le vertige font l’équilibriste, les autres se mettent à califourchon.
Nous dépassons un char Allemand détruit, puis nous entendons « HAUT LES MAINS » et un bruit de culasse de FM qui s’arme. Nous répondons « FRANCE » et un groupe en armes sort d’une maison pour nous recueillir.
Quelques instants plus tard nous étions dans une maison de Béthencourt où le capitaine commandant la compagnie du 140 RI qui nous avait recueillis nous interroge. Il nous explique en suite le combat qu’il a mené l’avant-veille 19 mai, contre une unité allemande, appuyée par des chars dont l’un a été détruit par le 75 en batterie à côté de nous. Les autres chars ayant été refoulés avec pas mal de dégâts.
Les effusions passées, on nous conduit à la cuisine : un bifteck, du pain, du café, un quart de vin et nous voilà regonflés !
Le capitaine nous prête la camionnette de la compagnie et nous fait conduire auprès du colonel commandant le régiment à Hesmery Hallon. Le colonel commandant le 140 RI est absent, nous allons à la division. Le poste de commandement de la 3ème division légère que commande le général Duchemin est à Crisolles. Nous y retrouvons le colonel commandant le 140 RI.
Le colonel part en tournée et nous présente au capitaine de Sairigné, chef du 2ème bureau de la 3ème DI, qui nous interroge. Bourdieu et moi lui rendons compte, de notre emploi du temps depuis le 10 mai et de tous les incidents que nous avions eus, puis de tout ce que nous avions observé en cours de route : genre et autant que possible nombres d’unités rencontrées, points occupés , installations repérées.
Après nous avoir écouté et questionné le capitaine de Sairigné a consigné notre rapport et nous en a remercié. En conclusion, il nous a indiqué que les renseignements, que nous lui avions donnés, complétaient ceux qu’il avait pu recueillir notamment en déchiffrant les carnets et notes trouvés sur l’équipage du char détruit à Béthencourt.
Après nous arrive deux autres officiers. Le premier un sous lieutenant du 5ème régiment Marocain ayant traversé la Somme à la nage et n’ayant plus aucun
vêtement, homme sympathique, jeune Saint Cyrien ayant déjà gagné Croix de Guerre et Légion d’Honneur. Le second, lieutenant d’infanterie, officier de réserve s’était échappé de Lille déguisé en paysan et avait traversé de jour toutes les organisations allemandes.
Nous sommes tous présentés au général Duchemin qui nous garde à déjeuner. Nous faisons triste figure à cette popote d’Etat Major avec nos tenues déchirées et nos barbes de dix jours. Mais après ces journées, le déjeuner nous parût fastueux…hors d’œuvre, mayonnaise, dessert, café !
Vers 14 heures le général Duchemin nous fait reconduire au corps d’armée où nous racontons de nouveau notre voyage un peu mouvementé, puis on nous conduit à Compiègne où la division doit se regrouper.
Nous trouvons Compiègne en état d’alerte, partout des incendies. On nous conduit à la gendarmerie et on nous introduit dans une cave où les officiers de la Place viennent dîner avec le sous Préfet.
Réception un peu fraiche au premier contact. On nous parle de fuyards, puis un instant après, au contraire, les civils partis, un ancien commandant instructeur de Saint Cyr, de très forte corpulence, nous réconforte.
23 mai
Nous sommes à Hénonville. (Seine Maritime) A Hénonville rien n’est organisé, seul un capitaine d’Etat Major nous reçoit à la Mairie et nous refoule à pied sur Meulan où nous couchons. Nous retrouvons le lieutenant Bertin et un groupe d’hommes du 33 et 233ème R.A.M.A.
24 mai
Nous arrivons à Alluets-le-Roi. (Yvelines ) où le commandant Renaud du 233ème R.A.N.A. a établi son PC. Il commande des éléments de la 4ème DINA qui sont dans la région
26mai
Nous embarquons avec un contingent du 33 et 233ème R.A.N.A. pour une destination inconnue ainsi qu’avec d’autres contingents appartenant à toutes les armes. Nous passons par Chartres, Poitiers, Angoulême, Bordeaux, Souge, Bayonne, Dax, Pau, Lourdes.
28 mai
Nous arrivons à Rivesaltes dans la matinée (Pyrénées Orientales) au lieu du camp du Larzac où se trouve déjà divers éléments du régiment : les lieutenants Hubert, Bourdieu, Bertin, l’aspirant de Richemont ainsi que l’adjudant Bizio et les M. des Logis Courtillet et Labou de ma batterie.
Ce camp est destiné à la formation des troupes noires et n’est pas encore bien organisé. Nous sommes reçus plutôt fraichement. Hommes et officiers sont parqués dans des baraques sans porte ni fenêtre. La nourriture est pour tout le monde à la roulante. On nous demande des états numériques pour le soir, mais nous ne connaissons pas trois pour cent des hommes qui sont avec nous.
29mai
Le matin, j’apprends heureusement que le 33ème et le 233ème R.A.N.A. sont refoulés sur Issoire (Puy de Dôme). Je bats le rappel et réunis 43 hommes et sous officiers. Partis à 23 heures nous arrivons dans la nuit du 30 au 31.
15 juin
Malgré plusieurs demandes pour repartir, il me faut attendre le samedi 15 juin pour apprendre que je suis de nouveau affecté à un groupe Nord Africain en formation, le 9ème Groupe du 40ème R.A.N.A.
19 juin
Nous recevons l’ordre d’aller mettre en batterie pour protéger la vallée de l’Allier contre les avances en pointe de chars allemands. ( Haute Loire)
20 juin
Départ pour Apchat , Puy de Dôme.
22 juin
Départ d’Apchat pour Ste Marie le Plain – Nous devions nous diriger vers Le Puy- Mais du fait de l’armistice nous allons à Series (Cantal)
24 juin
Armistice avec l’Italie
4 août
Nous sommes démobilisés à Saint Flour, Cantal, mais je reste à Series avec d’autres officiers pour liquider le groupe.
8 août
Nous quittons Series
RAPPEL quelques dates (B.P.) :
-10 juin, Paris est déclaré ville ouverte
-14 juin, les Allemands rentrent dans Paris
-14 juin, le gouvernement s’installe à Bordeaux
-17 juin, le Maréchal Pétain annonce qu’il faut cesser le combat
-18 juin, appel à la résistance du Général de Gaulle
-22 juin, signature à Compiègne de l’armistice dans le wagon de la Rethondes
-23 juin, Hitler visite Paris
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REFLEXIONS SUR LES RAISONS D’UNE DEFAITE :
Voici donc la campagne terminée, pour moi et pour beaucoup de mes camarades avec la désagréable impression de ne pas avoir pu se battre.
Impression d’autant plus pénible pour ceux qui, comme moi, avait vu la victoire de 1918 et cette même année toutes les tentatives allemandes pour percer le front. Il y avait eu les combats acharnés de la Somme, du Chemin des Dames, de la région de Montdidier en 1918, les offensives du 18 juillet sur Villers Côteret, de la Champagne en septembre, de Vouziers, des Ardennes. Cet esprit de résistance avait imprégné profondément la formation militaire et s’était affaibli au cours du temps dans « l’âme française ».
Bien entendu, l’impréparation, le manque d’entrain, la carence totale de l’aviation et non des aviateurs, un matériel et une organisation des liaisons et transmissions absolument lamentable, sont déjà une cause de défaite, mais pas une excuse.
Enfin, de septembre 1939 à mai 1941, surtout pour un pays qui a déjà vécu une mobilisation en 1938 et une alerte à Pâques en 1939, il fallait vraiment vouloir courir au suicide pour dès 1938 ne pas avoir d’urgence poussé la fabrication militaire au rythme du temps de guerre.
Il aurait été nécessaire que chaque (AD) division puisse par radio communiquer, même en déplacement, avec ses régiments et que chaque régiment puisse de même communiquer avec ses groupes.
Pour cela, il aurait fallu dans chaque (AD) division, dans chaque régiment un poste radio émetteur-récepteur monté sur une voiture permettant de corresponde même en marche. Pour le groupe, au moins une voiture légère découverte comme voiture de reconnaissance et une autre tout terrain si possible munie d’un poste émetteur-récepteur.
En ce qui concerne la liaison des batteries au groupe en marche, l’effectif en chevaux avait été tellement réduit qu’il était impossible d’employer des gradés comme estafettes et comme éclaireurs, de la sorte que sur route les batteries étaient absolument aveugles.
La dotation de un seul motocycliste par groupe était aussi ridiculement comptée. Il aurait fallu une motocyclette par batterie (même de faible puissance) et au moins deux si ce n’est trois par groupe.
Il aurait été nécessaire de doter chaque batterie d’un armement individuel moderne. Par exemple : 4 Fusils Mitrailleur 36 (FM 36) dont 2 à la batterie et 2 à l’échelon, 4 mitraillettes à la batterie, pour chaque servant 1 mousqueton et aussi pourquoi ne pas donner un mousqueton aux conducteurs…
Il faut aussi penser que nous avons vécu pendant plusieurs années sous le régime du service d’un an. L’instruction de la troupe y était très sommaire. Les futurs sous officiers étaient libérés, comme brigadier, sans souvent avoir eu une pièce sous leurs ordres.
CROS, La Pieuzelle, Mars 2012
Que son souvenir ne vous quitte pas…Qu’il soit pour vous l’exemple du courage…
Henriette Princé- Pastour de Neufville
A PROPOS…de Philippe Princé,
Pour mes enfants Marie-Hortense, Sara, Guilhem et mes nièces et neveux.
Document à la mémoire de votre grand père…
J’ai à peine croisé mon Père, mais autant que je puisse me souvenir, il a été toujours présent près de moi. Il m’a beaucoup aidé et protégé au cours de ma vie, j’en suis persuadé.
Nous étions à Sainte Pezenne, ce devait être en juin 45. Ma cousine, Monique Pénicaut, m’a pris par la main et nous nous sommes assis sur le canapé situé à gauche de la cheminée du salon, près de la fenêtre. Là, j’ai compris que Papa était mort…la nouvelle venait probablement d’arriver. Je ne me souviens pas de ce qu’a pu me dire Monique, mais ce moment est gravé en moi.
Souvent, je vous ai parlé de votre Grand Père. J’ai voulu, en reprenant ses notes sur la guerre entre août 1939 et août 1940, en y ajoutant, une lettre de Françoise à qui Dominique et moi avions demandé de nous faire part de ses souvenirs, un récit des événements de votre grand-mère, Mamita, intitulé « Souvenirs à la mémoire de votre Père » et divers documents le concernant et sur cette époque, vous transmettre un témoignage à sa mémoire.
En ce qui me concerne, j’ai très peu de souvenirs de lui…Quelques images furtives seulement me viennent… Paris où, me tenant la main, il me conduisait au bois de Boulogne en passant par la place Saint Ferdinand où se trouvait une sculpture représentant une voiture dont il m’entretenait certainement pour que je m’en souvienne encore… (Passionné de mécanique il devait m’expliquer qu’il s’agissait de la 1er automobile industrielle à vapeur construite par Léon Serpollet)… Paris toujours, rue Pierre Demours, où descendu à la cave, une caverne peureuse et sombre, je l’aidais à enlever les germes des pommes de terre qui y étaient entreposées… probablement un trésor en cette période de pénurie !... Sainte Pezenne, où pour nous rendre à Niort nous avions pris la voiture que tirait notre brave âne. L’animal ne voulant pas traverser les flaques d’eau, il le piquait d’un long bâton, ce qui m’avait probablement fort amusé…
La lecture de ce carnet de guerre donne une image précise des événements dramatiques qu’il a vécus. Rappelé en 1939, la Division d’Infanterie nord africaine où il avait été affecté fut coupé en deux en mai 1940 dans la région de Sedan. Dans un long périple, il a su conduire son groupe à travers les lignes allemandes vers celles encore tenues par l’armée française. A ce titre, il a reçu la Croix de Guerre avec étoile de bronze.
Je me souviens très bien de l’agitation anormale ressenti par le petit garçon que j’étais le jour de son arrestation. Je ne comprenais pas bien ce qui se passait et tout ce va et vient…
Votre grand père avait une collection d’armes du XIXème siècle, parmi lesquelles deux ou trois Mausers jadis utilisés contre les Boxers stockée dans les greniers des communs à Sainte Pezenne. Ces fusils tiraient la même cartouche que le Mauser de 1940.Cette collection avait été déclarée à la Mairie comme il se devait, mais mon père ne possédait pas de récépissé et il ne s’était pas rendu compte que les fusils en question étaient des armes de guerre. Des hommes d’un contingent allemand qui cantonnait à Sainte Pezenne fin mai 43 découvrirent cette collection et le signalèrent à la Kommandantur de Niort.
Ma grande tante, Madame Lepillier (la sœur de mon grand père Adolphe Pastour de Neufville), interrogée, donna candidement le nom de mon Père qui fût arrêté par des policiers français sur l’ordre des allemands.et envoyé à Niort.
Mon Oncle Gaston Richebé, souvent accompagné de Maman fit plusieurs démarches sans succès pour obtenir sa libération. Le secrétaire de mairie de Sainte Pezenne, tremblant dans sa peau, s’est refusé à fournir une pièce quelconque attestant qu’une déclaration d’armes de collection avait été faite.
La découverte de sa collection d’armes n’a été qu’un élément déclencheur. C’est l’avis, comme il en fait part dans ses mémoires « Souvenirs de guerre d’un fantassin » de l’Oncle Gaston et aussi le mien.
Il partageait à Niort sa cellule avec un aventurier roumain, probablement « un mouton », a-t-il trop parlé ? Par ailleurs, il avait été frappé par les Feldengendarmes. Que s’était il passé?
Bien qu’il n’en ait jamais rien dit, l’Oncle Gaston est persuadé qu’il faisait partie de l’O.C.M.(voir ci-dessous) et ne vois que cette raison pour expliquer son sort tragique. Maman témoigne qu’il se rendait régulièrement à des réunions et que dés sa démobilisation, il avait pris des contacts avec des réseaux d’officiers.
Ma sœur Françoise se souvient que sous un long manteau, il dissimulait des armes qu’il faisait passer par les bouches d’égout. Elle m’a aussi fait part, qu’il n’avait pas supporté la poigné de main à Hitler le 24 octobre 1940 du Maréchal Pétain lors de la rencontre en gare de Montoir sur le Loir et bien entendu sur ce qui en résultait : « Pétain dans un discours radiodiffusé indiquait qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour la France qui accédait à un statut de partenaire… » Il engage personnellement le régime de Vichy dans la collaboration.
Sa déception était d’autant plus grande que pour lui, engagé volontaire pendant la guerre de 14/18, Pétain était le sauveur de la patrie…
A Paris il avait installé dans l’appartement une antenne permettant de capter Londres.
Pour être déporté politique NN. (Nuit et Brouillard c’est à dire Racht und Nebel : décret de 1941) …expression puisée dans l’opéra de Wagner « L’Or du Rhin » il devait faire parti d’un réseau de résistance.( Il est d’ailleurs enregistré au Struthof comme résistant déporté : voir ci-dessous)
Dans l’Or du Rhin, le nain Alberich se coiffe d’un casque magique. Ensuite enveloppé dans une nuée qui, peu à peu le rend invisible, il se met à chanter : « Tu vas bientôt sombrer dans la nuit et le brouillard ». Par ce décret il s’agit de faire disparaître les résistants en lutte contre les nazis. Les parents et la population doivent être maintenus dans l’incertitude sur le sort de ces personnes.
L’O.C.M. ( Organisation Civil et Militaire) a été constitué à la fin 1940 à Paris par des chefs d’entreprise, des cadres et des militaires. L’organisation agit en zone nord et est rattachée au Conseil National de la Résistance dont Jean Moulin fût le président en mai 1943. Elle est la plus importante des organisations clandestines non communiste.
De la prison de Niort, il fut envoyé au Fort de Romainville en septembre 1943 puis au camp de Struthof le 25 novembre 1943. Il y est enregistré par l’administration du camp, suivant le document fourni par le Centre européen du résistant déporté, sous le matricule « 6295 », catégorie « Nuit et Brouillard », le 26 novembre 1943. (voir notes ci-dessous*)
Au camp de Struthof les prisonniers survivaient dans des conditions épouvantables. Vêtus simplement d’un habit de coton et peu nourris, ils étaient torturés par le froid et la faim…Il s’agissait de nous faire mourir mais pas de nous tuer… Maurice Vieux, déporté.(**)
…Novembre 1943, le Docteur Ragot fait parti d’un groupe de résistant français qu’un train emporte vers Struthof, il raconte : « A la descente du train la vie d’enfer a commencé. Nous sommes vite, vite- schnell, toujours schnell, ce mot que nous entendons désormais à longueur de journée- vite alignés sur le quai…On nous désigne trois camions et c’est la course éperdue à travers files, voie, quais pour les rejoindre et y grimper, vite, vite, schnell, schnell, poursuivis par les chiens et les S.S. armés de gourdins…le froid est glacial…dans le camion il demande :- où allons-nous ? Pour toute réponse, le S.S. le frappe de toutes ses forces et lui fait éclater la bouche ! (**)
Votre Grand Père est aussi arrivé en novembre 1943, peut-être par le même train ? Il n’a survécu que trois mois à la barbarie nazie…
Le Père Franciscain Bonaventure Boudet, qui partageait le même block 12, a écrit à Maman pour lui raconter ses derniers instants : -Il faisait un froid terrible, sa santé se délabrait…il traina une dizaine de jours…je l’ai porté après l’appel à l’infirmerie, il ne tenait plus debout, je lui ai donné l’absolution. A l’infirmerie(1) il a vécu quelques jours, j’ai réussi à aller le voir, il avait changé au point que j’ai eu du mal à le reconnaître…Avant sa mort nous causions souvent de longs moments et nous nous entendions très bien. Je sais maintenant qu’il est près de Dieu.
Il est mort le 10 mars 1944, trois mois environ après sont arrivée.
***
(1)L’infirmerie ne ressemblait que de loin à ce genre d’établissement. Elle avait plutôt l’allure d’une antichambre de la mort. Les médecins SS qui y sévissaient étaient souvent d’une incapacité notoire et étaient les premiers à observer les ordres les plus inhumains…
*notes :
-Centre européen du résistant déporté, site de l’ancien camp de Natzweiller-Struthof, ministère de la défense, DIACVG Alsace.
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