C’était un soldat, un soldat comme tous les autres, un « poilu » ordinaire, habitué depuis 14 mois à vivre dans l’enfer des tranchées : la boue, le froid, les poux, les rats, la crasse, la peur… 14 mois à côtoyer la mort, les charniers, les corps déchiquetés, l’horreur à son paroxysme……Comme tous les autres soldats de cette foutue guerre !
Et celui-là, comme plus d’un million d’autres, n’a jamais revu sa terre natale !…..Mais sa mort à lui, ne s’est pas passée tout à fait comme celle des autres… Contrairement à ses camarades tombés au combat, son nom ne fut inscrit sur aucun monument, sur aucune stèle ou plaque commémorative… Car ce gars-là, avec plusieurs centaines de poilus comme lui, fait partie de ceux que l’histoire a appelé les « fusillés pour l’exemple… », des morts victimes des balles françaises, des morts maudits, effacés des mémoires, doublement morts !
Emmanuel Pairault (puisque c’est de lui qu’il s’agit) a vu le jour à Loudun le 17 février 1892, dernier né d’une famille de cinq enfants (quatre garçons et une fille). A la sortie de l’école primaire, il apprend, à Tours, le métier de serrurier ; profession qu’il vient ensuite exercer à Loudun. Appelé sous les drapeaux en 1912, pour un service de deux ans, il est affecté au 6e régiment du Génie à Angers.
Lorsque la guerre éclate, il est encore sous les drapeaux et c’est, presque aussitôt, le départ pour le front : l’Argonne, la Belgique, la Champagne… Au mois de décembre 1914, dans la Marne, le sapeur Emmanuel Pairault se porte volontaire pour une mission très risquée : aller, de nuit, faire sauter les barbelés allemands afin de faciliter l’attaque du lendemain !
Au printemps 1915 il gagne Toul puis Amiens, puis le Pas de Calais et plus précisément Anzin où son régiment est caserné. Pendant ces longs mois de campagne, le sapeur Emmanuel Pairault a toujours fait preuve d’un comportement exemplaire.
En février 1915, il a perdu son frère Marcel, tué près d’Ypres en Belgique.
Et puis arrive le 25 septembre1915 : ce jour-là, une attaque française est programmée au lieu-dit le Labyrinthe sur la commune d’Ecurie. La section d’Emmanuel est placée sous le commandement du lieutenant de Pierrefeu, un polytechnicien de 24 ans. Au moment de l’assaut, prévu à midi et demie précise, une pluie d’obus allemands s’abat sur les tranchées françaises. Un de ces obus explose près de Pairault qui se retrouve à demi recouvert de terre, blessé au genou et fortement commotionné. Quand, un moment plus tard, il reprend ses esprits, ses camarades ne sont plus là…
Il se retrouve seul, désemparé…et rejoint comme il peut son cantonnement, en errant pendant deux jours dans le dédale inextricable des tranchées et des boyaux.
Dès qu’il arrive à Anzin, son supérieur, le lieutenant de Pierrefeu, décide de le faire comparaitre devant un Conseil de guerre pour abandon de poste en présence de l’ennemi, faute passible de la peine de mort ; une décision qui scandalise ses camarades et même certains officiers. Mais la justice militaire est en marche et rien ne peut l’arrêter ; le procès a lieu le 8 octobre dans l’après-midi : aucun des témoins convoqués ne confirme la thèse d’abandon de poste. Seul le lieutenant de Pierrefeu maintient son accusation, sans aucune preuve de ce qu’il avance…Le lendemain matin, 9 octobre 1915, près de Duisans, à 6 km d’Arras, le sapeur Emmanuel Pairault est fusillé et son corps enterré à la hâte dans un pré voisin, non loin d’un moulin.