Loudun militaire

En ce début de 20ème siècle, il y a dans la moindre des petites villes une garnison où se prépare la revanche. Loudun ne possédant pas de caserne, notre député et notre sous-préfet multiplient les démarches auprès des autorités militaires afin que notre cité accueille un bataillon de jeunes conscrits pour préparer la victoire. Alors, les potins circulent vite dans des contrées où il se passe si peu de chose en temps ordinaires. Depuis un an, la nouvelle se répandait dans les rues :  
"Ça devait arriver!"... "ils vont venir !"  
Les boulangers ont pétitionné, des gens qui, disait-on, peuvent affamer le monde, rien qu'en se croisant les bras, comment ne pas les écouter? Et les semaines passent et les mois se succèdent, point de soldats ! Les commentaires vont bon train : les gens qui savent tout affirment que les formalités sont remplies, que tout est réglé : nous aurons un régiment entier. D'autres qui, eux-aussi savent tout et un peu plus encore, laissent dire puis déclarent avec un aplomb superbe :" C'est de la cavalerie que nous allons avoir" pendant que d'autres affirment : " Non, ce sera l'artillerie !" Entre temps, des sous-officiers, des officiers inspectent certaines maisons vides, puis sans livrer leur secret, disparaissent. Et les comptoirs, et les pétrins, et les estaminets piaffent d'impatience...et les jeunes filles soupirent, laissant échapper de leurs lèvres roses la vieille chanson :
Rassemblement de la troupe sur la Place Sainte-Croix
Oiseau bleu, couleur du temps.
Vole vers moi, promptement...

Et l'oiseau bleu est venu ! Enfin ! Le 25 mai 1916, un bataillon de jeunes soldats de la classe 1917 arrive dans notre ville. Il s'agit de 1340 hommes appartenant au 77e régiment d'infanterie de Cholet et au 135e régiment d'infanterie d'Angers. Loudun devient alors une ville de garnison. Notre cité ne possédant pas de caserne, il faut trouver vingt-cinq cantonnements compris dans deux endroits, le secteur nord et le secteur sud. A l'extrémité du secteur nord, près de la gare, le dépôt d'approvisionnement est établi dans l'ancienne laiterie. Avenue de la Gare, la maison Baudouin est aménagée pour 100 hommes. Un autre cantonnement important de ce secteur nord est la maison Malécot, rue Porte-SaintNicolas : une entrée principale, face à l'accès de l'école privée de Chavagnes et une autre, rue des Capucins. Par contre, la maison Chatelain, place Porte Saint-Nicolas, accueille un petit nombre de militaires. Au secteur sud, la maison Ricordeau constitue un cantonnement peuplé, mais le principal se trouve dans les grands bâtiments de la Passementerie, rue du Patois, qui peuvent donner l'hospitalité à une compagnie entière, soit 230 soldats. C'est dans ce secteur, rue des Naveaux, chez M. Dupont, que le bureau du commandant, M. de la Valette, est installé tandis que le service de l'infirmerie est affecté à la maison Moreau de la Ronde, rue du Relandais. Un champ de tirs pour fusils et mitrailleuses est implanté dans la plaine des Vaux, avec d'un côté, la route de Curçay aux Trois-Moutiers pour limite et, de l'autre côté, le bois de Fête. Mais c'est à la Butte de Véniers, à Bellevue "Champ de la Croix" qu'auront lieu les exercices des bombardiers. Dès 9 heures, un défilé inaccoutumé de personnes de tous âges, de toutes conditions se dirige vers la gare pour voir les nouveaux arrivants. A 10 heures, le train arrive. Aussitôt, les soldats du 135e régiment d'Angers défilent, fusil à l'épaule, quatre de front, encadrés par leurs officiers et sous-officiers. Ils ne sont seulement que 350 : une épidémie de scarlatine a retenu les autres à Angers pour quelques jours. Place PorteSaint-Nicolas, sous les grands arbres, la troupe est passée en revue, puis, par la rue des Capucins, les soldats regagnent leur cantonnement, situé dans la maison Malécot. A midi, arrivent 700 hommes du 77e régiment de Cholet, sourire aux lèvres, armés de la musette et du fusil. Ces bleuets de Vendée sont reçus par une foule énorme, par des vivats enthousiastes : " Les voilà ! Vive l'armée française ! Vive la jeune classe !" Tous les enfants de Loudun se sont donné rendez-vous pour courir après leurs nouveaux amis et marcher au pas comme eux.
Atelier des cordonniers du 77e régiment d'infanterie de Cholet.
Les vieux murmurent à leur passage : "Ces chers enfants! Comme c'est beau, un homme sous les drapeaux !" Ils passent, ils passent vite d'un pas rapide, ferme, mesuré, qui prépare déjà l'élan vers la victoire. La foule grossissante a peine à les suivre mais les suit tout de même sur le boulevard qui va vers le Pasquin. Les clairons sonnent la marche. Nous savons, nous, que ces vaillants soldats du 77e feront preuve, lors de la bataille de Verdun, de dévouement, de sacrifice, de bravoure, de gloire sans tache. Ils laisseront à la postérité le souvenir de braves qui sont tombés sous les plis de leur glorieux drapeau en défendant la France. Les voilà rangés sur la Place Porte-de-Mirebeau pour la revue d'arrivée ; puis fusils en faisceaux, ils attendent la désignation des cantonnements. La plupart vont à la Passementerie ; les autres se dispersent, répartis en bon nombre de maisons Dans la soirée, le commandant, les officiers et les sous-officiers sont réunis à l'Hôtel de Ville où un vin d'honneur leur est offert. Le maire, M. Gallet, dans une brève allocution, souhaite la bienvenue au nom de la ville de Loudun, heureuse de voir arriver les soldats qu'elle désire et attend depuis longtemps. Pendant ce temps, dans les cantonnements, tous les hommes reçoivent vin, brioches, chocolats et cigares, offerts par les habitants. Puis, c'est l'entrainement intense à la vie militaire. Les exercices se succèdent : le tir, la gymnastique et des marches de plus de trente kilomètres. Dans Loudun, règnent entrain, bonne humeur et la discipline joyeusement acceptée par nos admirables soldats.
Match de football sur la pelouse du vélodrome.
Adieu, les jeunes !
Mercredi et jeudi 12 et 13 juillet 1916, 127 hommes du 77e et 130 du 135e quittent Loudun pour se rendre à Cholet et à Angers, et de là, vers le front. La nouvelle, peu répandue, a cependant attiré quantité d'amis des soldats qui emportent avec eux une moisson de fleurs : les boutonnières, les képis, les baïonnettes rivalisent d'éclat avec les couleurs de petits drapeaux. Si rapide est leur défilé sous les ombrages des boulevards, dans l'avenue de la Gare, que les enfants seuls peuvent les suivre aisément, mais en courant.  
Le sifflet avertisseur retentit. En un clin d'oeil, les soldats envahissent les voitures. Sur le quai, clairons et tambours jettent leur note d'adieu : toutes les mains s'agitent aux portières et les yeux des femmes se mouillent de pleurs car c'est la vision de demain, d'après-demain, qui fait monter leurs larmes.  
Départ pour le front pour les 77e et 135e Régiment d'Infanterie.
Allez, amis : bonne chance !
Début septembre, le Ministre de la Guerre demande à Loudun d'envoyer 250 hommes de bonne volonté pour aller au front :  
 
"Qui de vous veut partir? dit le commandant. Qu'ils avancent!" Aussitôt, ceux qui sont là, rangés pour l'ordre du jour, s'avancent, la main levée qui signifie : "Moi ! moi !" l'oeil brillant de joie et d'espérance. Tous sont prêts à partir ; tous ont au coeur le même élan ; une seule parole a transformé leur attitude : " en avant ! en avant !" "Ouvrez vos rangs, guerriers de Verdun, voici les braves de l'Ouest, ils savent lancer la grenade, manier la mitrailleuse, barrer la route à l'ennemi, le prendre au collet, le terrasser." Hélas ! hélas ! ils n'arriveront pas tous : un, deux, dix vont tomber, en courant à l'assaut de l'ennemi dans les tranchées, baïonnette en avant. A Verdun, ces deux régiments, le 135e d'Angers et le 77e de Cholet, seront déployés sur la rive gauche, sur la cote 304, et ils participeront à l'une des périodes les plus sanglantes de la grande bataille. Hélas, tout a une fin et, le 27 septembre 1917, les derniers doivent dire adieu à la bonne ville hospitalière. Ah! cela ne s'est pas fait sans déchirement, mais chez les soldats français, la peine s'exprime nécessairement en chansons. Ils sont 250 qui partent, 250 qui chantent et pour les Loudunais, c'est une immense émotion de les entendre.
Jacques Sergent
Sources : Désiré Leroux Journal de Loudun mai 1916 à septembre 1917

Loudun Militaire  1916 : Journal de Loudun 
 
1917 : Journal de Loudun
BESSÉ André Henri - Un lieutenant décoré