UN OFFICIER DE LA GRANDE ARMÉE - CHARLES-JOSEPH LE VIEIL DE LA MARSONNIERE
UN OFFICIER DE LA GRANDE ARMÉE
Lorsqu'apparurent, après 1789, les nuages précurseurs de la tempête, les amis de la royauté s'en émurent diversement. Les uns rêvaient un idéal de monarchie constitutionnelle, et se payaient, en politique, d'une monnaie qui eut pu être de bon aloi sans l'alliage des passions révolutionnaires. D'autres, ennemis déclarés d'un inconnu menaçant, mais pleins d'illusions sur les moyens de le combattre, se précipitaient vers la frontière, moins pour fuir le danger que pour conjurer, entraînant, dans leur émigration, leurs familles affolées de terreur. D'autres, au contraire, de sens plus rassis et résistant à l'entraînement de l'émigration, s'étaient résolus à ne point quitter la France, à demeurer dans leurs terres, et à y attendre les évènements jusqu'à l'heure où le droit de légitime défense d'une part, et d'autre part, d'une conscience de gentilhomme et de chrétien, leur feraient à la fois un devoir et une nécessité de tirer l'épée.
C'est à cette catégorie de royalistes dans laquelle se recruta plus particulièrement le haut personnel de l'armée vendéenne, qu'appartenait un homme de bien dont nous allons raconter l'histoire.
Saint-Clair C'était un gentilhomme, issu d'une ancienne famille de l'Anjou et vivant modestement dans sa terre sise paroisse de Saint-Clair, dans le Loudunais. Il était né, en 1740, du mariage de Charles-Joseph le Vieil de la Marsonnière et de dame Anne Carfour de la Pelouze, veuve de Mondion. Il avait reçu une solide instruction, et admis au corps royal d'artillerie, il y était devenu capitaine. A trente-cinq ans, le 10 janvier 1775, il avait épousé Agathe-Aimée du Chilleau, fille de Gabriel, baron du Chilleau, seigneur de la tour Savary, et de Périne Félicité de la Jaille. Un mois après son mariage, ayant perdu son père, il avait quitté le service pour recueillir et administrer son héritage. En 1789, nous le trouvons figurant sur le rôle des électeurs de la noblesse du bailliage de Loudun, avec les qualités ci-après : "Charles-Joseph le Vieil, chevalier, seigneur de la Marsonnière, fief Boivin et autres lieux."
M. de la Marsonnière avait eu trois enfants de son mariage, deux fils et une fille, et vivait paisiblement dans sa terre, lorsqu'en 1792 s'accentua le mouvement qui poussait la jeunesse royaliste vers la frontière où s'organisait le corps d'émigrés dit "des chasseurs nobles". Peu partisan de l'émigration, qui lui paraissait une affaire d'entraînement plus que de réflexion, M. de la Marsonnière ne voulut point cependant contrarier son fils aîné, alors âgé de seize ans, dans son désir de suivre, sur les bords du Rhin, la jeune noblesse qui croyait là son devoir. Ce fils, Gabriel-Charles-Marie partit donc pour rejoindre le corps des chasseurs nobles, muni des modestes subsides que pouvait lui fournir la famille, en ces temps difficiles, et emportant avec lui la bénédiction d'un père qu'il ne devait plus revoir.
Le départ et la destination du jeune homme furent bientôt connus dans le district de Loudun. Ce fut le signal des persécutions contre M. de la Marsonnière qui, jusque-là, n'avait point été inquiété.
Une loi terrible et dénaturée, en date du 12 septembre 1792, contraignait les parents dont le fils était suspects d'émigration, à solder et entretenir, au profit de la nation, deux soldats chargés d'aller, sur la frontière, combattre en quelque sorte le propre fils et verser le propre sang de celui qui les payait. Le 7 janvier 1793, M. de la Marsonnière se vit signifier par huissier une contrainte qui lui prescrivait de verser, en exécution de cette loi, une somme de dix-huit cents livres, M. de la Marsonnière ne sourcilla point et s'exécuta sans murmurer.
Mais ce n'était là que le commencement. Une autre disposition législative, non moins terrible que la précédente, défendait aux familles restées en France, d'avoir aucun rapport avec les émigrés et surtout de leur faire passer de l'argent. Une telle défense ne pouvait intimider le coeur d'un père. Vers le mois de mars 1793, M. de la Marsonnière commit le crime d'envoyer de nouveaux subsides à son fils. Ce fut sa perte. On le décréta d'accusation. Il fut arraché à sa maison et à sa famille et conduit à la prison de Loudun. Madame de la Marsonnière resta seule, avec ses deux plus jeunes enfants, dans sa maison désolée. C'était une vaillante femme, forte de coeur, fière de race, et capable d'un grand courage. Elle ne tarda pas à en donner des preuves, au péril de sa vie.
Les habitants de la paroisse de Saint-Clair, où était sise la terre de la Marsonnière, ne se firent faute de vexations contre une femme sans défense. Madame de la Marsonnière supporta d'abord patiemment ces avanies. Mais un jour qu'on l'avait conduite, malgré son refus, sur la place publique du village, en lui intimant l'ordre de baiser un arbre de la liberté qu'on venait de planter, elle cracha dessus et, se retournant vers ses persécuteurs, elle les brava du regard et les contint par la fierté de son attitude. Mais le salut qu'elle dut, pour cette fois, à son énergie, ne l'en laissait pas moins exposée à de graves périls et il demeurait évident que, pour elle, le seul parti à prendre était la fuite.
Pendant que sa femme était en butte à ces persécutions, Charles-Joseph mangeait à Loudun, le pain amer de la captivité. En proie à toutes les inquiétudes sur les siens, il ne se faisait lui-même aucune illusion sur son propre danger, et il s'apprêtait à tout évènement, lorsque les bruits arrivés de la Vendée éveillèrent chez lui des espérances de salut.
Ce fut, en effet, le 10 mars 1793, jour fixé pour le tirage au sort de la levée des trois cent mille hommes qu'éclata, à Saint-Florent sur Loire, l'insurrection dont Cathelineau fut le chef. On sait avec quelle rapidité le mouvement royaliste se propagea de l'Anjou dans le Bocage et par quel miracle une armée de héros sortit de terre en quelques jours.
Thouars Du fond de sa prison, M. de la Marsonnière suivit, avec anxieté, les progrès de l'insurrection. Les succès de l'armée vendéenne, pendant la dernière quinzaine d'avril, lui donnèrent l'espoir d'une prompte délivrance. Cet espoir ne fut pas trompé. Le 5 mai, Thouars fut pris ; la capitulation du général Quétineau et la destruction de son armée répandirent la terreur par toute la plaine. Les autorités de Loudun furent frappées de la panique générale. Les portes de la prison cessèrent d'être gardées et les personnes qui s'y trouvaient s'échappèrent. Charles-Joseph se rendit en toute hâte à la Marsonnière ; prit avec lui sa femme, sa fille et son plus jeune fils, Louis-Jean, et partit, le même jour, pour Thouars, où se trouvait l'armée vendéenne.
Il y arriva le 6 mai, et reçut des chefs l'accueil le plus empressé. On avait déjà, outre quarante canons pris à Thouars un certain nombre de pièces d'artillerie et notamment la fameuse Marie-Jeanne ; mais on manquait d'officiers pour former des artilleurs et commander la manoeuvre. M. de Marigny, général de l'artillerie, fut donc charmé de pouvoir mettre la main sur un officier de cette arme et donna à M. de la Marsonnière, un commandement sous ses ordres avec le rang de colonel.
Madame de Lescure, depuis Madame de la Rochejaquelein, suivait alors l'armée. Madame de la Marsonnière était beaucoup plus âgée, ayant atteint sa quarante-sixième année. Mais sa fille, Félicité, était à peine plus jeune que l'épouse de l'illustre chef vendéen. Mlle de la Marsonnière fut très goûtée par cette dernière, et il se forma, entre ces trois dames, une intimité cimentée par la communauté d'anxiétés, de souffrances et de périls. Quinze ou vingt ans après, lorsque la marquise de la Rochejaquelein traversait Poitiers pour se rendre au Bocage, elle ne manquait jamais de venir voir la vieille Madame de la Marsonnière et de deviser mélancoliquement avec elle de ce qu'elles avaient vu, de ce qu'elles avaient souffert et de ce qu'elles avaient pleuré.
Aux pages 127 et 128 de ses Mémoires, Madame de la Rochejaquelein se félicite, pour l'armée vendéenne, des recrues faites à Thouars, au premier rang desquelles elle cite M. de la Marsonnière. Le nouveau colonel d'artillerie prit aussitôt possession de son commandement et ne tarda point à payer de sa personne. Une prompte douleur était réservée à sa pauvre femme. Huit jours à peine s'étaient écoulés que M. de la Marsonnière était fait prisonnier à Fontenay dans les circonstances que voici : Partie de Thouars le 8 mai, l'armée vendéenne avait marché sur Parthenay, puis sur la Châtaigneraie, puis enfin sur la ville de Fontenay, devant laquelle elle se trouvait le 16 mai. Ce jour même elle donna l'assaut, ce qui était fort imprudent, car, les paysans s'étant dispersés la veille, on ne pouvait disposer, pour cette attaque, que d'environ dix mille hommes. MM. de Lescure et de la Rochejaquelein commandaient l'aile gauche ; ils eurent d'abord l'avantage et parvinrent "dans les faubourgs de la ville après avoir repoussé les républicains. Mais, dit Madame de la Rochejaquelein, d'Elbée qui commandait l'aile droite et M. de Marigny qui conduisait l'artillerie prirent mal leurs dispositions, l'artillerie fut entassée dans un chemin où elle ne pouvait être d'aucun avantage. M. d'Elbée fut blessé à la cuisse et M. de la Marsonnière fut enveloppé et pris avec plus de deux cents hommes."
M. de la Marsonnière fut emmené à Fontenay avec ses deux cents soldats, et mis en prison. C'était, en l'espace d'un seul mois, sa seconde captivité. On peut juger du désespoir de Madame de la Marsonnière, qui, du camp vendéen, prêtait aux bruits une oreille anxieuse, et qui, à chaque heure du jour croyait entendre le bruit de la fusillade sous laquelle allait tomber son mari. Ce fut une terrible angoisse de huit jours. Le 23 mai, M. de la Marsonnière et ses soldats comparurent devant le conseil de guerre républicain. Ils furent condamnés à mort, et l'exécution fut fixée au lendemain, 24. Ils n'avaient donc plus que douze heures à vivre, et, surexcités par le désespoir, ils s'étaient déjà barricadés dans la prison pour se défendre, lorsque, dans la nuit du 23 au 24, l'armée vendéenne, renforcée par la division de M. de Bonchamp, fondit sur Fontenay et l'enleva. Le 24 mai, à l'heure fixée pour l'exécution, le généreux Lescure, oubliait la blessure de son bras percé d'une balle, pour ouvrir lui-même à ses amis la porte de la prison. L'émotion fut à son comble. M. de la Marsonnière se jeta au cou de son libérateur et eut grand'peine à empêcher ses soldats d'en faire autant.
La grande armée était alors à l'apogée de ses succès et de sa gloire. Charles-Joseph prit part dans ses rangs, aux victoires de Vihiers, de Doué et de Montreuil, à la prise de Saumur, à l'occupation d'Angers et au siège malheureux de Nantes, suivi de la retraite de Parthenay. Il était aussi, à la fin de juin, au combat du moulin aux Chèvres, et quelques jours plus tard à la défaite que subit Westermann sous Châtillon. C'est à la suite de cette dernière action que se place un incident qui fait honneur à la modération et à la générosité du colonel de l'artillerie vendéenne.
Mais auparavant il importe de rappeler en quelques mots les incidents de la sinistre campagne de Westermann dans la Vendée. MM. de Lescure et de la Rochejaquelein s'étaient retirés à Châtillon pour y rassembler la grande armée, alors disséminée, lorsque Westermann, qui venait de Saint-Maixent, escorté de l'évêque constitutionnel des Deux-Sèvres, traversa Parthenay, incendia le village d'Amailloux, saccagea et brûla le château de Clisson, propriété de M. de Lescure et marcha sur Châtillon. Chemin faisant, le général républicain avait fortifié son armée en réquisitionnant des gardes nationaux de Saint-Maixent, de Parthenay et de Bressuire. Les bruits d'incendie qui précédaient l'armée de Westermann s'étaient rapidement propagés et les paysans, alarmés, s'étaient hâtés de se rendre chez eux pour mettre à l'abri leurs bestiaux et leurs récoltes. L'armée vendéenne, réduite considérablement, se trouvait dans un état d'infériorité numérique relativement à celle de son redoutable adversaire.
M. de Lescure n'en résolut pas moins de faire une tentative pour arrêter la marche du général républicain. Il l'attendit entre Bressuire et Châtillon, à une lieue environ de cette dernière ville, sur une hauteur dite "bois du Moulin aux Chèvres". Le combat, qui fut sans succès pour personne eut néanmoins pour résultat de ralentir un peu la marche de Westermann, sans toutefois l'empêcher de s'établir à Châtillon. Une fois à Châtillon, Westermann continua d'appliquer le système déjà inauguré dans le Bocage. Il fit brûler, entr'autres châteaux, celui de la Durbelière à Henri de la Rochejaquelein. Les royalistes devinrent furieux. Ils accoururent de tous côtés et se reformèrent à Chollet. Puis, l'armée vendéenne passa la Sèvre à Mallièvre et arriva près de Châtillon, au moment où, y pensant le moins, Westermann faisait chanter un Te Deum par l'évêque constitutionnel. La bataille eut lieu près d'un bois et d'un moulin sis dans la péninsule formée par les deux bassins de la Sèvre-Nantaise et de la Sèvre-Niortaise. De là, sans doute, le nom de combat du moulin aux Sèvres (par corruption Chèvres) donné à cette rencontre. Ici j'emprunte le récit de l'action à l'illustre marquise :
Les Vendéens, dit Madame de la Rochejaquelein, étaient nombreux et animés d'un vif ressentiment. La prise de Châtillon et les incendies leur avaient inspiré une sorte de rage. Les bleus étaient campés sur une hauteur auprès d'un moulin à vent. Les paysans se glissèrent en silence autour d'eux et le feu commença. Les républicains, effrayés de se voir attaqués de plusieurs côtés ne tinrent pas longtemps. Le poste fut emporté et les canonniers furent tués sur leurs pièces. En un instant, la déroute et le désastre furent complets. Les caissons et les canons se culbutèrent dans la descente rapide qui mène à Châtillon. Les renforts que Westermann envoyait furent emportés par les fuyards ; lui-même n'eut que le temps de se montrer, et fut heureux de pouvoir s'enfuir précipitamment à la tête de trois cents cavaliers. La fureur des paysans s'accrut encore par le combat et la victoire. Ils ne voulaient plus faire quartier. Les chefs avaient beau crier : "rendez-vous ! on ne vous fera pas de mal ;" les soldats ne massacraient pas moins. Quand on fut parvenu dans la ville, le carnage devint plus affreux encore. M. de Lescure, qui commandait l'avant-garde, avait traversé Châtillon, en poursuivant les fuyards, et il avait ordonné, en passant, d'enfermer les prisonniers. Les paysans, au lieu d'obéir, se mirent à les égorger. M. de Marigny les conduisait. M. d'Elbée et autres qui voulurent s'y opposer, furent mis en joue par leur soldats. On courut raconter ces horreurs à M. de Lescure qui arriva aussitôt. Une soixantaine de prisonniers qu'il venait de faire s'étaient jetés autour de lui. Ils s'attachaient à ses habits et à son cheval. Il se rend à la prison. Le désordre cesse. Les soldats le respectent trop pour ne pas obéir. Mais M. de Marigny, hors de lui, s'avance en lui criant : "retire-toi que je tue ces monstres ! ils ont brûlé ton château." M. de Lescure le prie de cesser ou qu'il allait défendre les prisonniers contre lui-même. Le massacre fut ainsi arrêté à Châtillon ; mais beaucoup de ces malheureux fuyards, furent assommés dans les métairies où ils s'égarèrent ; c'était l'incendie du village d'Amailloux qui avait inspiré aux paysans cette ardeur de vengeance."
MARIGNY Si nous empruntons cette page émouvante à Madame de la Rochejaquelein, c'est avec le regret d'y constater qu'en cette circonstance les paysans vendéens déshonorèrent leur victoire, mais en même temps, avec la satisfaction d'y trouver, ainsi qu'on le verra bientôt, un saisissant contraste entre l'emportement farouche de M. de Marigny et la modération de l'homme de bien dont nous avons à raconter l'histoire. Nous allons voir, en effet, que M. de la Marsonnière se montra plus soucieux d'imiter les nobles exemples des Lescure et des d'Elbée que de se régler sur la conduite de son chef immédiat, le terrible général de l'artillerie vendéenne.
Quatre mille prisonniers environ avaient été faits à la bataille qui vient d'être décrite. De ce nombre étaient les gardes nationaux de Bressuire, tombés entre les mains de M. de la Marsonnière. Voici quelle conduite il tint envers eux : Disons d'abord qu'après le succès de Châtillon, les chefs avaient résolu de marcher sur Saumur par Vihiers et Martigné. L'armée étant alors fort nombreuse, on ne pouvait, sans risquer d'affamer le pays, la diriger vers sa destination par une route unique. On se divisa donc, et M. de la Marsonnière eut ordre de rétrograder avec une portion de l'artillerie sur Bressuire, pour, de là, se rendre à Vihiers par Argenton-Château. M. de la Marsonnière traversa donc Bressuire avec son artillerie et avec ses prisonniers et c'est là que se passa, à son grand honneur, une scène dont nous possédons le récit authentique : "Je soussigné déclare que de retour dans mon pays de la Vendée, après une absence de plusieurs années, la veuve Sol Poelier, originaire d'Auvergne, me déclara que divers particuliers de la ville de Bressuire ayant été forcés, par le général Westermann, qui avait à sa suite un grand nombre de gardes nationaux de Saint-Maixent et de Parthenay, et notamment l'évêque constitutionnel des Deux-Sèvres, de le suivre à Châtillon, où il voulait s'établir, avaient été faits prisonniers par les royalistes à la bataille du Bois-aux-Sèvres ; que les femmes de Bressuire profitèrent du moment où M. de la Marsonnière, à la tête de l'artillerie, traversait la ville, pour lui demander la délivrance de leurs maris, de leurs enfants et de leurs frères, et leur retour au milieu de leurs familles qu'ils avaient quittées avec regret et par force ; et que leur demande leur fut accordée par M. de la Marsonnière entouré d'un nombreux corps de troupes et de l'état-major. - Fait au grand Mazais, près Poitiers où je me suis retiré depuis la destruction de Bressuire qui a été, trois fois en peu de temps, totalement incendié à l'exception de deux maisons seulement par l'armée dite révolutionnaire, venant de Paris. J'ai été témoin de la destruction de cette ville et j'en ai été une victime ainsi que tous les malheureux habitants du pays. Certifié véritable, le cinq février 1842. - Signé : DESCHAMPS"
L'auteur de cette attestation était un vénérable vieillard dont la famille est honorablement connue à Poitiers.
Après l'incident que rapporte cet écrit, M. de la Marsonnière se porta, avec son artillerie, sur Martigné où l'armée vendéenne se réunissait pour faire obstacle à la marche des républicains. La rencontre ne fut pas heureuse pour les Vendéens ; mais ils prirent leur revanche à Vihiers sur lequel ils se replièrent. Là en effet, le 18 juillet, ils battirent les républicains et s'emparèrent de leur artillerie. C'est quelques jours après que Cathelineau mourut et fut remplacé comme généralissime par d'Elbée.
M. de la Marsonnière prit part ensuite à la première et à la seconde bataille de Luçon, à la victoire de Chantonnay et aux combats désastreux qui commencèrent la série des revers, désormais réservés à la grande armée. Il était à la défaite de Tremblaye où Lescure fut mortellement blessé et à la bataille de Cholet où le même sort attendait d'Elbée et de Bonchamp. Il était enfin toujours à son poste à cette funeste date du 18 octobre où une sorte de vertige poussa l'armée vendéenne à quitter le Bocage natal pour aller chercher, de l'autre côté de la Loire, la contrée inconnue où elle allait trouver son tombeau.
Madame de la Rochejaquelein, aux pages 253 et suivantes de ses Mémoires, fait un récit navrant de ce terrible passage de la Loire. On y voit, comme en un vivant tableau, la foule se ruant sur les bateaux et se les disputant, le désespoir des chefs, la terreur des femmes et des enfants, l'agonie des blessés, les barques sombrant sous le poids et la Loire roulant des cadavres. M. de la Marsonnière était là ; sa femme, son jeune fils et sa fille y étaient aussi, dénués de tout, de vivres, de vêtements, exténués de faim et de fatigue, poursuivis par un inexorable ennemi, et n'ayant d'autre chance de salut qu'en un mauvais bateau, marchant péniblement, au milieu des balles, sur des eaux grossies par les pluies de l'arrière-saison.
La Providence les protégea encore cette fois. Ils réussirent à atteindre la rive droite. Ce fut d'abord une effroyable confusion ; mais enfin l'armée se reforma et le lendemain, elle se concentrait à Varades, présentant, quoiqu'affaiblie, un aspect encore redoutable. C'est là qu'Henri de la Rochejaquelein fut proclamé généralissime.
Le lendemain 6 octobre, on partit pour Guérande ; puis, après avoir traversé Candé, Segré et Château-Gontier, on arriva, le 22 à Laval. Là eut lieu, le 26 octobre, une bataille victorieuse où M. de la Marsonnière fut blessé, à l'un des postes les plus périlleux de l'action. Voici comment le fait est rapporté par Madame de la Rochejaquelein : "La bataille commença sur les onze heures du matin, les Vendéens attaquèrent vivement. Les républicains avaient deux pièces de canon sur une hauteur, en avant. M. Stofflet, qui se trouvait à côté d'un émigré qui venait de rejoindre l'armée, lui dit : "Vous allez voir comment nous prenons les canons." En même temps, il ordonna à M. Martin, chirurgien, de charger sur les pièces avec une douzaine de cavaliers. M. Martin partit au galop, les canonniers furent tués et les deux pièces emportées. On les retourna sur-le-champ contre les républicains, on y ajouta des nôtres et M. de la Marsonnière fut chargé de les diriger. Une balle morte vint le frapper si rudement qu'elle enfonça la chemise dans les chairs, il voulut continuer ; mais la douleur devint trop forte. Il fut obligé de se retirer. M. de Baugé le remplaça ; cette batterie était importante, elle était exposée au feu le plus vif de l'ennemi."
M. de la Marsonnière était à peine convalescent, lorsque l'armée quitta Laval pour marcher sur Fougères. C'est dans cette dernière ville qu'avant de prendre la grande résolution dont nous parlerons bientôt, l'armée nomma son conseil de guerre. On le composa de vingt-cinq membres, au nombre desquels était M. de la Marsonnière. Le conseil se réunit aussitôt et prit une détermination importante, celle de marcher sur Granville et de s'emparer de ce port pour y entrer en communication avec l'Angleterre, de laquelle on attendait des secours. On traversa Dol, Pontorson, Avranches et l'on arriva à Granville au nombre d'environ trente mille hommes. L'attaque manqua. Il fallut rétrograder sur Avranches, et, de là, sur Dol où eut lieu, le 13 novembre 1793, une terrible bataille dans laquelle M. de la Marsonnière donna de nouvelles preuves de son dévouement et de son courage. C'est encore à Madame de la Rochejaquelein que j'emprunterai le récit de cette action : "Nous sûmes alors tout ce qui s'était passé dans le combat. L'attaque avait commencé à minuit. Les Vendéens s'étaient précipités avec fureur sur les républicains et les avaient fait plier. L'obscurité de la nuit et l'acharnement des deux partis étaient tels qu'au milieu de la mêlée, des combattants s'étaient saisis corps à corps et se déchiraient avec leurs mains. On avait pris des cartouches aux mêmes caissons. Des Vendéens étaient arrivés sur une batterie ; les canonniers, les prenant pour des bleus, avaient crié : "Camarades, rangez-vous que nous tirions." Alors nos soldats, les ayant reconnus à la lueur du feu, les avaient massacrés sur les pièces. A sept heures du matin, les républicains avaient été repoussés jusqu'à deux lieues et demie de Dol, sur les deux chemins. M. de la Rochejaquelein était à l'aile gauche, sur la route de Pontorson. Quand il vit les bleus en pleine retraire de ce côté, il voulut se porter sur la droite, au chemin d'Antrain où il voyait encore un feu très vif. La poudre venait d'y manquer. Les artilleurs avaient envoyé des cavaliers au grand galop pour en rechercher. Le brouillard épais fit imaginer aux soldats que c'était un mouvement de la cavalerie ennemie. Ils en furent épouvantés et ils prirent la fuite. Les officiers coururent pour les rallier. On crut qu'ils fuyaient ; la terreur devint plus grande. La déroute commença, les plus braves s'y laissèrent entraîner. Ce fut là le spectacle qui s'offrit à Henri de la Rochejaquelein, lorsqu'accompagné de M. Allard, du chevalier des Essarts et de quelques autres officiers, il se portait sur la droite. Le désespoir s'empara de lui. Il crut tout perdu, et résolut de se faire tuer. Il avança vers les bleus pour chercher la mort, et demeura plusieurs minutes, exposé en face d'une batterie, les bras croisés. M. Allard essayait vainement de le retenir et le suppliait de ne pas se sacrifier. Cependant, on entendait toujours un feu soutenu à l'extrémité de la droite. M. de la Rochejaquelein y courut. Il y trouva M. de Talmont qui, à la tête de 400 hommes, se soutenait avec une constance héroïque, faisant illusion aux républicains sur ses forces, à la faveur du brouillard qui leur cachait la fuite de nos gens. MM. de la Marsonnière et de Baugé ne l'avaient point abandonné et, à eux deux, ils servaient une pièce dont les canonniers s'étaient enfuis. Henri arriva au secours de M. de Talmont ; sa présence ramena quelques soldats. Un instant après, les fuyards, ralliés par leurs officiers, commençaient à revenir et alors l'affaire fut complètement décidée."
Tout est dit dans ce récit que nous résumons en quelques mots : La droite de l'armée vendéenne est en fuite. Le général en chef, désespéré, se jette au-devant de l'ennemi pour se faire tuer. Tout est perdu. Cependant une poignée d'hommes résiste encore autour du vaillant prince de Talmont. En vain les artilleurs ont disparu. Il reste encore, auprès des pièces désertées, leur brave commandant et un généreux officier. Le colonel d'artillerie redevient soldat ; il prend en main la gargousse et l'écouvillon, charge et pointe la pièce. Le feu se soutient et sert de point de ralliement. Rappelés au sentiment du devoir par l'exemple de la Rochejaquelein, de Talmont, de la Marsonnière et de Baugé, les fuyards sont ramenés. On s'élance et la bataille est gagnée.
Le lendemain, 14 novembre, les bleus furent de nouveau mis en déroute. Ces efforts convulsifs de la grande armée expirante ne pouvaient que prolonger son agonie, car ils ne servaient qu'à protéger une retraite sans but et sans espoir. Le 15, on rétrogradait sur Fougères ; puis, le 16, sur Laval. On partait, le 18, pour Sablé, puis pour la Flèche. Enfin, le 20 novembre, on arrivait sous les murs d'Angers où s'était concentrée l'armée républicaine. M. de la Marsonnière combattit à ce siège malheureux, puis au Mans où fut complétée la ruine de l'armée vendéenne. Cette déroute du Mans fut affreuse. On marchait littéralement sur des cadavres, et le cheval du malheureux fuyard foulait également du pied le corps de l'ami et celui de l'ennemi, faisant jaillir des éclaboussures d'une boue mêlée de sang. Le jeune Louis-Jean n'avait encore que quatre ans et sa mémoire avait fidèlement gardé l'impression de cette cruelle journée. A soixante ans, il racontait avec une émotion toujours nouvelle les circonstances de cette fuite ; la mère et les deux enfants sur le même cheval, Louis-Jean sur le pommeau de la selle, sa mère au milieu, sa soeur en croupe, s'élançant au galop, parmi les cadavres, affolés par le sourd retentissement du canon, par le crépitement strident de la fusillade, par les clameurs de la foule, par les cris déchirants des femmes et des enfants, par le gémissement des blessés, le râle des mourants ; et au-dessus de tout cela un épais nuage flottaient en un âcre mélange, l'odeur de la poudre et celle du sang. Le pauvre enfant était alors malade et ajoutait involontairement au désespoir de sa mère par les plaintes que lui arrachait la douleur.
Après ce désastre, le grand conseil résolut de gagner Ancenis pour y passer la Loire et y faire sa jonction avec les autres corps vendéens qui tenaient encore campagne sur le sol natal. M. de la Marsonnière était encore aux premiers rangs des glorieux débris qu'Henri de la Rochejaquelein ramenait sur la Loire.
Le 16 décembre, on était à Ancenis.
Une faible partie de l'armée put seule passer la Loire. Le plus grand nombre inquiété par l'ennemi, ne put traverser le fleuve, et l'on se vit contraint de se replier sur Savenay. C'est dans le désordre de ces mouvements en sens contraire qu'eut lieu la séparation de plusieurs familles, et notamment celle de M. et de Madame de la Marsonnière. Celle-ci, qui réussit à passer la rive gauche avec ses deux enfants, ne devait plus revoir son mari.
Pendant ce temps, M. de la Marsonnière doublement désespéré par le désastre de l'armée et par l'incertitude où il était du sort de sa femme et de ses enfants, marchait sur Savenay où il devait trouver la mort, seul remède à tant de souffrances et à tant de chagrins.
Ce fut le 20 décembre qu'on arriva à Savenay. Madame de la Rochejaquelein, aux pages 122 et 123, tome II de ses Mémoires, rapporte en quels termes désespérés, le général de Marigny lui annonça le sort qui attendait le lendemain l'armée vendéenne. Les paroles de Marigny étaient prophétiques. Le lendemain, en effet, l'armée était exterminée, et le cadavre de la Marsonnière, tué sur le champ de bataille, était enfoui dans une fosse commune inconnue ou emporté vers l'Océan par les flots de la Loire.
Tandis que l'infortuné Charles-Joseph accomplissait son dernier sacrifice, sa veuve, après avoir traversé la Loire avec ses enfants, trouvait un modeste refuge dans une métairie des environs de Beaupréau. La pauvre femme n'était là que de corps, car son âme était toute entière de l'autre côté de la Loire où lui apparaissait, à chaque heure du jour et de la nuit, son mari expirant sur le champ de bataille ou traîné sur l'échafaud. Elle resta dans cette métairie, un mois environ, en proie à tous les tourments, au milieu des incidents les plus émouvants et des alertes les plus terribles. Le petit Louis-Jean était trop enfant pour qu'il lui ait été possible de se rappeler toutes les circonstances de cette phase aussi douloureuse que romanesque de sa vie. Mais il avait conservé fidèle mémoire d'un incident qu'il a souvent raconté et dont voici le récit : Les paysans de la ferme avaient pratiqué, sous un énorme tas de fagots, une cachette pour Madame de la Marsonnière et pour ses deux enfants. Cette cachette était obscure et n'était guère commode à habiter. Mais on se fait à tout quand la nécessité le commande et, d'ailleurs, quand les bleus étaient loin, les fugitifs sortaient le soir de leur prison et trouvaient, pour la nuit, un lit dans la métairie.
Mais vers la fin de janvier 1794, il fallut renoncer à ce soulagement. Les recherches des soldats républicains étaient devenues plus actives. Madame de la Marsonnière dut donc se résigner à demeurer confinée, jour et nuit, dans son incommode refuge. Or c'est là que, le 5 février, jour de la sainte Agathe, se passa l'incident qui frappa si vivement la jeune imagination de Louis-Jean. De grand matin, en effet, sa mère fut éveillée par les petits enfants de la ferme dont la plus jeune portait un bouquet de fête offert à l'infortunée Agathe. Ce n'était sans doute qu'un humble bouquet de buis, étant donnée la saison ; mais l'offrande n'en était pas moins touchante. La pauvre veuve de l'officier vendéen fondit en larmes, en apprenant de ces innocentes créatures qu'il pouvait encore y avoir pour elle un jour de fête. Elle était encore toute émue de ce témoignage attendrissant, lorsque, dans le lointain, on entendit un bruit de pas et un retentissement d'armes. C'était une patrouille de soldats en tournée de perquisition. La cachette fut aussitôt refermée, et les paysans regagnèrent leur logis.
Les bleus, comme on disait alors, arrivèrent et jetèrent aussitôt, sur les fagots un regard soupçonneux. Ils interrogèrent, un à un, les paysans et leurs enfants, demandant si quelque aristocrate n'était point caché là. Sur leur réponse négative, ils mirent la main sur le plus jeune des enfans, un petit garçon de cinq ans, celui précisément qui avait offert le bouquet. Ils le renversèrent la tête en bas, le secouant rudement, lui offrant de l'argent s'il parlait, le menaçant de mort s'il mentait. Le brave enfant ne sourcilla point et répondit comme ses parents. Les soldats plongèrent alors leurs bayonnettes dans les fagots. L'une d'elles atteignit légèrement Madame de la Marsonnière qui, penchée sur ses enfants qu'elle tenait embrassés, collait ses lèvres sur l'oreille de son fils, et, les yeux anxieusement ouverts, lui recommandait le silence. Il s'écoula ainsi de cruelles minutes, après lesquelles les soldats, convaincus apparemment de la sincérité des paysans, reprirent leurs armes et se remirent en marche.
N'y aurait-il pas là, pour un peintre, le sujet d'un émouvant tableau ?
Cette terrible alerte décida Madame de La Marsonnière à quitter cette ferme, trop voisine de Beaupréau et à chercher ailleurs plus de sécurité. Elle désirait aussi se rapprocher de Savenay pour connaître le sort de son mari. Les métayers lui avaient offert, d'ailleurs, de se charger de son fils, pendant qu'elle irait pourvoir à sa propre sûreté, et quelque chagrin qu'elle eût de se séparer de son enfant, c'était assurément le parti le plus sage qu'elle eût à prendre dans l'intérêt commun. Elle partit donc, et Louis-Jean, vêtu en petit paysan, resta dans la ferme sous la protection de ses hôtes. C'étaient d'honnêtes gens ; mais ils étaient rudes et pauvres et quelque fût leur respect pour la famille de l'enfant, ils n'entendaient pas qu'il fût, chez eux une bouche inutile. Ils l'envoyèrent donc, dans les champs, garder les moutons et les vaches, par le mauvais comme par le beau temps. Souvent aussi, quand le pain était rare à la maison, on lui donnait un bissac et il fallait qu'il allât mendier dans les hameaux voisins. Au retour, le sac n'était pas toujours rempli, et alors il arrivait que l'enfant fût tancé rudement d'être revenu sans son nécessaire. C'est à cette rude école, en mendiant son pain, que Louis-Jean apprit l'amour des pauvres et la charité, cette vertu dont le docteur de la Marsonnière, celui qu'on appelait par excellence le médecin des pauvres, a été l'un des plus parfaits modèles.
l'abbé de MontgazonNous ignorons combien dura pour Louis-Jean, ce temps d'épreuves. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'un jour du mois d'avril 1794, tandis qu'il gardait ses moutons le long du chemin, il vit passer un homme vénérable qui, se dirigeant sur Beaupréau, jeta les yeux sur l'enfant et s'arrêta. Il lui avait semblé sans doute démêler sous les vêtements rustiques du petit garçon, quelque chose de particulier révélant une autre origine que celle accusée par sa condition présente. Il l'interrogea et sut lui inspirer une telle confiance que Louis-Jean lui fit une entière confidence. "Je suis un petit aristocrate !" lui dit-il, selon le langage du temps ; et alors il lui connaître le nom de ses parents. Cet homme compatissant était l'abbé de Montgazon, poursuivi lui aussi par les passions politiques du temps et qui, sous un déguisement, se dérobait également aux recherches. Malgré sa situation précaire, il résolut de se charger de l'enfant. Il l'emmena à Beaupréau, dans sa retraite, et s'appliqua à l'instruire, ainsi que les deux La Pommelière qui furent, avec Louis-Jean les trois premiers élèves de l'école qui devint plus tard le collège de Beaupréau.
Pendant que le sort de son plus jeune fils était ainsi assuré, Madame de la Marsonnière était condamnée à regretter le périlleux asile qu'elle venait de fuir. Arrivée à Nantes, on l'avait, en effet, reconnue, arrêtée et jetée dans la trop célèbre prison du Bouffay. Elle attendait la mort, lorsque les évènements du 9 thermidor et l'exécution de Carrier qui en fut la conséquence, lui ouvrirent les portes de la prison.
Après sa délivrance, Madame de la Marsonnière se rendit à Loudun où elle resta quelques années, puis à Poitiers, où s'écoula la dernière partie de sa vie. De retour de l'émigration, son fils aîné s'était marié. Sa fille Félicité entra en religion dans l'ordre de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement et était supérieure de cet ordre à Séez où, en décembre 1809, elle mourut en odeur de sainteté. Louis-Jean resta seul avec sa mère, et, pour ne point s'en séparer, sa piété filiale lui fit choisir la profession qui devait le moins l'éloigner d'elle. Il honora la médecine par sa charité autant que par ses talents et sa mémoire est si chère aux habitants de Poitiers que la reconnaissance publique a voulu ériger un monument sur sa tombe.
Mais revenons à l'officier vendéen auquel cette notice est plus particulièrement consacrée.
La vie de Charles-Joseph le Vieil de la Marsonnière a été noble et généreuse. Sa mort a été glorieuse. C'était un homme sage, modéré, peu accessible aux entraînements de l'imagination, et aux exagérations de l'enthousiasme. Il se plaisait dans l'obscurité et si les aventures que lui réservait la guerre civile ne fussent venues le chercher, il n'eut point été au-devant d'elles ; il les a subies ; mais, autant il était étranger aux ardeurs des passions politiques, autant il était ferme et résolu dans l'accomplissement du devoir qu'il s'était une fois tracé. Si, en effet, il fut jeté dans les rangs de l'armée vendéenne par la persécution et par l'instinct de la défense personnel autant que par ses convictions, il est hors de doute que dès que son devoir fut là, il égala en énergie et en dévouement n'importe lequel de ceux que le seul enthousiasme y avait conduit. Nul plus que lui ne fut absolu dans le sacrifice, résigné dans les souffrances, intrépide dans l'action, généreux dans le succès et l'on peut dire que dans sa douloureuse campagne qui dura autant que la grande armée ; Il vécut en héros et mourut en martyr.