Eugène GREAU, héros du Tour de France, martyr de la Résistance
Nueil-le-Dolent (Vendée) 29 mai 1904 -Sonnenburg (Allemagne), devenue Slonsk (Pologne) 20 décembre 1943
Aucune rue de Loudun ne porte son nom. C'est pourtant ici qu'Eugène Gréau, champion cycliste, a forgé une partie de sa légende. En 1929, après avoir quitté sa Vendée natale pour installer un magasin de cycles au n°19 de la rue Théophraste-Renaudot, à l'emplacement de l'actuel parking, il prend le départ du Tour de France. Catégorie « Touristes-routiers ». C'est à dire coureur indépendant, sans équipe, assurant seul toute sa logistique ! Certains doutent. Lui y croit dur comme fer. Ce n'est pas un débutant. A La Chapelle-Saint-Laurent, où il vivait auprès de ses parents aubergistes-barbiers-répérateurs de machines à coudre et de vélos, il s'était forgé un sacré palmarès. Chez les amateurs, il a emporté 27 victoires dont Tours-Châtellerault (1921), Châtellerault-Poitiers-Châtellerault (1923), le Circuit de Saumur, le circuit Poitou-Touraine (1925) et obtenu une très belle 2e place dans le redouté Poitiers-Saumur-Poitiers de 1923, qui traversait Loudun. Mais c'est sa 7e place du Paris-Angers 1925, où il dame le pion à certains des meilleurs pros de l'époque, qui le fait remarquer. Il rejoint alors l'équipe JB Louvet-Wolber avec laquelle il prend le départ des Tours de France 1926 et 1927. Mais la malchance s'acharne : il est contraint d'abandonner précocement l'épreuve (2e et 4e étape). En 1926, il s'était pourtant affirmé comme un très solide rouleur, terminant 2e de Paris-Lille, 4e de Paris-Angers et, surtout, 9e de Paris-Roubaix, qu'il court déjà avec les « isolés ». A l'époque, cette performance est saluée comme un exploit. Malgré une très belle saison 1928 sous le maillot de la formation Dilecta-Wolber (14 victoires), il se retrouve sans contrat avant le Tour de France 1929 qu'il décide, donc, de courir par ses propres moyens. Fasciné par autant d'audace, La Gazette de Loudun lui demande de tenir le journal de bord de son aventure, publié au fil de l'épreuve dans les colonnes de l'hebdomadaire. Une initiative peu courante à l'époque, qui émerveille les lecteurs dont certains lanceront une souscription pour l'aider à faire face à ses dépenses. Ils ne le regretteront pas : l'« Ugène », comme on le surnomme, prend la 47e place à Paris après 22 étapes et 5.286 km. A Loudun, on l'accueille comme un héros. C'en est un. Mais des revers commerciaux (la crise de 29 se fait sentir) et quelques déboires familiaux (le coureur du Tour de France, par ailleurs marié et bientôt père de cinq enfants, court aussi les tours de taille...) le conduisent à déménager. Il quitte Loudun et, peu à peu, abandonne le vélo. Il entre dans les chemins de fer, s'installe à Chartes (1931), Ivry-La-Bataille (1933), Le Chapus (1934), près de Royan, puis Niort (1937). Entre-temps, révolté par la condition ouvrière, il rejoint la CGT et le Parti communiste où il milite avec la pugnacité et l'endurance qu'on lui connaît. Son engagement, mal vu par ses supérieurs, est signalé dans les registres du personnel. Dès le début de l'Occupation, il rejoint les premiers groupes communistes qui tentent plusieurs actions et devient membre de triangle de direction du PC clandestin dans les Deux-Sèvres en juin 1941. Dans la nuit du 13 au 14 décembre de cette année-là, une guérite de raccordement de câbles PTT est sabotée à Niort, ce qui provoque l'interruption des communications téléphoniques allemandes. On enquête. Six arrestations sont effectuées par la police française parmi les militants communistes. Eugène Gréau est interpellé le 21 décembre, chez lui, à Souché, aux portes de Niort. Il sera détenu à la Santé, puis à Fresnes, pendant de longs mois, avant d'être remis aux Allemands. Il est condamné à mort mais sa peine est finalement commuée à dix puis vingt ans de réclusion. Le 19 novembre 1942, Eugène Gréau quitte Paris par la gare de l'Est. Il est déporté en Allemagne sous protocole Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard. Celui qu'on réserve à ceux qui doivent disparaître. En février 1943, il est dirigé vers le camp de Sonnenburg (aujourd'hui Slonsk, en Pologne). Il est fatigué, amaigri. Il tousse beaucoup. Il est sans doute atteint de tuberculose. Il meurt le 20 décembre 1943. Aucun document ne permet de localiser sa sépulture. A ce jour, deux rues seulement célèbrent la mémoire de ce héros oublié : l'une à Nieul-le-Dolent, où il est né, l'autre à Souché, près de Niort, où il a vécu.
Michel DALLONI