Aujourd'hui c'est un devoir de mémoire pour moi que de venir te rendre hommage pour ce passé glorieux dont tu as fait don à ton pays, la France, pendant ces années de la guerre 14/18.
Depuis longtemps je pensais y faire face, mais en ce jour de la Toussaint, c'est auprès de toi que je viens me recueillir et te dire la fierté que j'ai eue toute ma vie d'avoir un papa tel que toi. Homme de devoir et de droiture, tu n'as jamais failli à ton idéal : être près de ton prochain pour pouvoir aider ceux qui avaient besoin de toi ou de tes conseils en tant que secrétaire de l'Union Nationale des Anciens Combattants et Mutilés de guerre.
Je me souviens, qu'étant enfant, que de fois des handicapés de guerre sont venus à la maison pour solliciter ton aide pour pouvoir obtenir les papiers nécessaires pour l'obtention de leur pension d'invalidité d'anciens combattants de la guerre 14/18.
Pour mes enfants et petits-enfants et pour tous ceux qui ont besoin de repère en cette période maudite entre toutes, de cette guerre de quatre années, la plus meurtrière de tous les temps, voici un rapide coup d'œil de ton parcours.
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Tu es né le 11 janvier 1890, à Monts-sur-Guesnes, d'une famille de huit enfants, d'un père carrier dans l'extraction des galuches de pierre dans les caves du pays Montois, et aussi cultivateur de quelques lopins de ses terres.
A onze ans tu eus ton certificat d'études et dès cette date, comme souvent à cette époque là, il te fallut quitter l'école, que tu aimais tant, pour travailler et gagner un peu d'argent pour faire vivre toute la maisonnée.
Je crois me souvenir, que dès onze ans, tu étais embauché chez un marchand de grains, pour faire les chargements des céréales, chez les paysans.
Dès cette époque, tu avais la soif d'apprendre encore et encore, alors dans la voiture à cheval qui te menait chez les agriculteurs tu avais tes livres d'écoles pour continuer à t'instruire, et cela pendant des années jusqu'à ton appel sous les drapeaux.
De toi il me reste un cahier de chansons écrites de ton écriture fine et régulière, à la plume sergent major, pendant ton régiment au 32ème régiment d'infanterie à Châtellerault ; tu ajoutais en première page : 9ème compagnie. Matricule 2766.
Ce cahier est pour moi un souvenir merveilleux ( tellement merveilleux que Jean-Claude Raymond animateur du site internet Araneï-orbis, a désiré le faire figurer dans ses pages, avec des commentaires, et pour tout cela je l'en remercie et lui en suis très reconnaissante). Je disais donc que ce cahier retrace de nombreuses chansons d'époque guerrière « Pauvre mère Alsacienne » ou « Délimitation » ou encore « Ma Frangine ». La plupart de ces chansons sont agrémentées d'une gravure décalquée et coloriée par tes soins pour accompagner les textes. D'ailleurs, quel souvenir encore de toi !..., dans ces pages de cahier !... ta feuille de calque bleu pour la retranscription de tes figurines... Comme j'y tiens , à ce cahier, comme à la prunelle de mes yeux. Tu l'as daté : Châtellerault 27 janvier 1912.
Autre souvenir important : un petit carnet où tu inscrivais toutes les données pour suivre le peloton. Toujours de ton écriture fine, tu notais toutes les questions pertinentes. Tu voulais être un bon soldat pour la Patrie. Tu as été caporal dans l'infanterie, place la plus exposée dans cette guerre de tranchée où les risques étaient si grands...
Et alors... Cette année fatidique de 1914 arriva très vite avec cette mobilisation générale le 1er Août de cette même année.
De ce départ, tu as été très secret en famille, pour ne pas ranimer ces lourds moments de la séparation, sans nul doute, et aussi une façon de cacher cette vilaine guerre de tranchées qui a fait tellement de dégâts. De tout cela, en pensée, il ne me reste rien de tes confidences. De plus, en ce temps là, vous, les anciens vous aviez la pudeur des sentiments, vous aviez aussi le respect et le devoir inné de ne pas vous plaindre sur votre sort, même la douleur physique, dans ce temps là, il fallait la cacher !...
Comme tous, tu es parti ce dimanche 2 août rejoindre ton unité à Châtellerault.
Par les livres sur la grande guerre, j'ai voulu me renseigner sur le mode de départ dans les Ardennes, lieux des combats, savoir la vie particulière du fantassin, celle que tu as vécue là-bas en ce mois d'Août 1914 où, d'après certains écrits : «140 000 tués en 5 jours d'été, 27 000 pour la seule journée du 22 août 1914, la plus meurtrière de tous les temps » (Sources : Paroles de Poilus 1914-1918 Edition Librio) » Toi, tu vécus ce carnage dans les tranchées !
Et, le 30 Août te fut fatal. Cette journée, tu nous l'as racontée après maintes supplications :
« Pendant les quarante huit heures qui précédèrent cette attaque nous étions sous les tirs d'obus et les balles sifflaient à nos oreilles, les camarades autour de moi tombaient comme des mouches, nous étions à quelques centaines de mètres des soldats allemands, et tous les gradés qui prenaient le commandement étaient blessés, le carnage était terrible : en peu de temps l'armée allemande était à notre portée, c'est à ce moment que, personne ne prenant plus le commandement, je me vis obligé d'y aller et, baïonnette au canon, un genou à terre, je pris le commandement et fit feu. Après un temps que je ne puis pas estimer des éclats d'obus sifflent de tous côtés et viennent me fracasser ma jambe agenouillée. Dans la tourmente de cette vraie boucherie, personne ne vint à mon secours. Je souffre terriblement sans pouvoir me bouger. Des allemands passent, je fais le mort. Mais au bout d'un moment, n'y tenant plus, j'entends parler des allemands et là, je me manifeste. Ils me ramassent et m'amènent sur une civière. »
« Ma guerre sur le front n'aura donc duré que trente jours. Prisonnier J'ai été transporté à Marburg pour y recevoir les soins dus à mon état. Les Allemands m'ont bien soigné. A cette époque les antibiotiques n'existaient pas et au mois d'août, par cette chaleur torride, les infections étaient fréquentes, les blessures se transformaient en plaies purulentes. Ma jambe était en lambeaux avec plusieurs éclats d'obus et l'os fracturé. Et pour éviter l'infection le seul moyen était de me mettre dans une baignoire, remplie d'eau et renouvelée très souvent, j'y ai séjourné un mois, il m'est même arrivé d'y passer des nuits. Je suis resté jusqu'en mai 1915 à Marburg. »
« Ensuite la Croix Rouge, par la Convention de Genève m'a rapatrié en Suisse, comme prisonnier mutilé de guerre français. L'administration de la Croix Rouge me demanda quelles étaient mes aspirations et orientations pour l'avenir. Et comme je tenais à me perfectionner dans les études je demandais, de préférence, les études commerciales. »
« Je fus donc inscrit à l'Institution de Jeunes gens - Lycée Jaccard à Lausanne. Ce lycée donnait sur le lac Léman qui se nommait le port d'Ouchy.
« A cet établissement j'ai appris :
la comptabilité
l'anglais
la sténo »
Etant donné son statut de grand mutilé de guerre ilfut démobilisé et rentra en France dans les premiers mois de 1918. Il avait le bagage professionnel qu'il avait souhaité pour travailler dans un bureau comme comptable car, sa jambe blessée étant un handicap, il préférait un métier assis. Dès son retour il trouva un emploi comme gestionnaire comptable chez un marchand de grains à Loudun. Il y fit carrière jusqu'à la fin de sa vie.
( Notes : Pour ses faits de guerre il fut décoré de la Croix de Guerre
et de la Médaille Militaire ( fait de bravoure en temps de guerre)
Dans la vie il y a des dates prémonitoires :
II a été blessé le 30 août 1914
II s'est marié le 30 août 1919
II est décédé le 30 août 1953.
Notes : Au retour de la guerre il adhéra à l'Union des Anciens Combattants et Mutilés de Guerre dont il fut le secrétaire toute sa vie.
A ce retour du front les mutilés et réformés avaient beaucoup de formalités à faire pour l'obtention de leur pension de guerre ; formulaires à remplir, témoignages à rechercher d'anciens camarades du front de guerre ou pour justifier de leur passage à tel ou tel endroit pour ceux qui avaient leurs papiers de disparus. Il remplit cette tâche bénévolement avec beaucoup d'attention et tous ces anciens poilus lui en furent éternellement reconnaissants.